Association française pour l’enseignement du français

Culture professionnelle

  • 01
    Avr

    Faut-il crier haro sur les neurosciences  ? Certainement pas, mais…, de Dominique Bucheton

    Changements pour l'égalité, Fédération Wallonie-Bruxelles

    Lire en ligne sur le site de ChanGements pour l'égalité, Wallonie-Bruxelles

     

    Être contre les neurosciences pour comprendre les phénomènes d’apprentissage serait à peu près aussi stupide que de nier l’importance de la biologie moléculaire pour l’amélioration des traitements du cancer  !

    Le développement sans précédent de l’imagerie médicale a permis ces trente dernières années des découvertes très importantes sur les fonctionnements du cerveau et, notamment, la découverte de sa plasticité. Quelle nouvelle réjouissante  ! Les accidents cérébraux, les échecs, certaines difficultés spécifiques des élèves ne sont pas irréversibles ou hérités  ! De nouveaux neurones et de nouvelles synapses réparent ou remplacent en partie des aires cérébrales défaillantes ou encore les reconfigurent. Si on s’en occupe, évidemment  ! Sachons patience garder, automatisons le plus possible les opérations mentales de bas niveau pour libérer de l’espace pour des résolutions beaucoup plus complexes, soyons attentifs aux émotions négatives, encourageons les positives etc. Les neurosciences apportent aujourd’hui des preuves de ces tempêtes sous le cerveau, comme l’écrivait l’un des premiers d’entre eux, Jean-Pierre Changeux, dans L’homme neuronal (1983). Merci donc aux neurosciences.
    Mais, nombre d’enseignants avaient par expérience, par culture professionnelle, par innovation ou par observation, pris conscience, depuis longtemps, de ces phénomènes. Nombre de grands pédagogues, de chercheurs en didactique et en sciences de l’éducation avaient aussi analysé ces phénomènes. Tous avaient donc raison. Pas si mauvais ces pédagogues qu’il est de bon ton de décrier aujourd’hui  !

    Cela dit, où est la polémique  ?

    La polémique est scientifique et éthique. Le passage de résultats savants expliquant les bases neuronales et biologiques de la mémoire, de l’attention, du stress, de certaines pathologies... à partir de données obtenues en laboratoire, à leur application concrète demande des expérimentations contrôlées. Elles doivent l’être selon des règles déontologiques. Au nom de quoi administrer aux enfants de toute la France des tests (comme le CP septembre) jamais mis en expérimentation ni échantillonnés préalablement  ? Imagine-t-on un biologiste dicter à des médecins un protocole de soins ou un vaccin applicable immédiatement sur le terrain  ? Or, aujourd’hui, on voit descendre, en direct du ministère, des tests, des tablettes programmées et des protocoles labélisées neurosciences. La démarche s’apparente à un simple habillage scientiste, pas loin de l’escroquerie aux finances publiques, dès lors qu’on voit les éditeurs se frotter les mains à l’idée d’un marché national obligatoire et juteux.


    La polémique est pédagogique. Les concep­tions de l’apprentissage telles qu’elles se dessinent sous la tutelle spécifique et réductrice du neurobiologiste Stanislas Dehaene et de quelques psychologues cognitivistes, économistes ou statisticiens affidés sont très inquiétantes. Tests, évaluation des manques des élèves, catégorisation, remédiations en sont les organisateurs premiers. L’apprentissage y est affaire de formatage et de reformatage du cerveau, de répétitions et d’entrainements. Certes, créer des automatismes de bas niveau est nécessaire, mais l’enseignant le plus débutant comprend vite que pour faire apprendre les élèves, encore faut-il leur en donner l’appétit. L’enseignant expert sait combien pèse sa capacité à faire travailler, penser, discuter les élèves ensemble. C’est infiniment plus qu’une série d’exercices standards, y compris ludiques, mais déconnectés d’un projet de classe. Autrement dit, faire apprendre, enseigner, éduquer, faire construire les valeurs du partage, de la solidarité sont un tout indissociable. Elles se construisent dans le collectif et non dans la seule qualité de la relation enseignant élève, comme voudraient le laisser croire neuropsychiatres ou médecins dont les conseils de cabinet abondent actuellement pour culpabiliser les enseignants et les montrer du doigt. Depuis la nuit des temps, l’appropriation et le développement de la culture ont toujours été un processus social. Ce processus a modifié nos cerveaux et vice versa.


    La polémique est politique. C’est une lutte idéologique dont la botte cachée est la négation de l’expérience et des compétences des enseignants, comme la négation de l’apport des disciplines du champ des sciences de l’éducation. Une guerre de territoires occupés par coups de force est commencée. Elle commence à se solder en crédits pour les laboratoires ou agences privées de recherche sous le robinet du ministère. Pas un seuls didacticien, ni sociologue, ni psychologue du développement, ni historien de l’éducation, dans le comité scientifique présidé par Dehaene et désigné par le ministre  ! Virés. Place aux neurosciences, du moins celles du clan Dehaene, le bon génie du ministre (titre du Monde).
    Leurs buts  ? Mettre en place un système éducatif dans lequel la visée première est le principe de la sélection. Il ne s’agit pas de démocratiser l’accès de tous à l’école, de permettre à chaque élève de s’y développer pour choisir et décider de sa vie. Non, il s’agit de sélectionner très tôt et à tous les niveaux des élites, de préparer leur séparation précoce avec les enfants des gens de rien comme les a qualifiés Macron le 2 juillet 2001. Tests de compétences, attendus sélectifs pour entrer à l’université, filières précoces pour le bac : le rouleau compresseur de la nouvelle école libérale à la française se met en place. Ambition, mérite, concurrence, en sont les maitres mots. Elle avait besoin d’un alibi, oserais-je écrire d’un cache-sexe : les neurosciences  ! 

     
     

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