Association française pour l’enseignement du français

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  • 02
    Mai

    Enseigner le français: métier ou magistère?

    par Bénédicte ETIENNE

     

    Qu’est-ce que cela signifie et recouvre : «être professeur de français » ? Sur fond d’annonce implicite de la disparition d’une formation professionnelle digne de ce nom, l’AFEF a décidé de programmer un certain nombre de rencontre-débats autour de cette question : l’enseignement du français en tant que métier. C’est un vaste chantier qui s’ouvre, occasion pour l’AFEF de réinterroger ses fondamentaux et de réaffirmer les valeurs qu’elle porte et défend. En attendant de pouvoir réfléchir, lors d’une rencontre prévue pour l’automne prochain, à la question des « contours de la discipline », elle a choisi, en écho à l’actualité concernant la formation, d’entrer dans le débat par la question de la professionnalité.  

     

    Scène de prérentrée dans un collège ou un lycée. Les professeurs se lèvent à tour de rôle et se présentent, indiquant leur nom et la discipline qu’ils enseignent. « Anglais », « mathématiques », « technologie », « histoire-géographie »… : les mêmes mots du savoir se répètent, repris par des voix, des prosodies, des présentations de soi différentes et particulières, chaque singularité s’effaçant cependant partiellement devant cette appartenance déclarée à une même discipline. Chaque professeur peut alors, et sans trop se risquer, concevoir qu’un horizon d’attente commun de savoirs et de pratiques le relie à ce collègue qui prononce un nom connu, celui de sa discipline. Ce chœur pourrait trouver son point d’unisson et les équipes se reformer tranquillement, sur fond d’été indien, si quelque duo ne venait troubler la belle harmonie : celui bien connu du professeur « de français » et du professeur « de lettres » (classiques ou modernes), le choix de ces autodésignations, à ce moment symbolique d’entrée dans une nouvelle année de travail,  relevant de tout sauf du hasard. Ces deux-là semblent en effet ne pas s’affilier à la même discipline ni exercer le même métier. Cette variation dans les désignations nous dit sans doute quelque chose de ce qu’apprendre le métier de professeur de français contient d’acceptation et de capacité à comprendre (ou pas) et à supporter (ou pas) que les objets de travail que l’on tisse avec les élèves excèdent largement, en les enrichissant et en les revisitant, ceux à partir desquels on s’est construit lorsqu’on était en situation d’étudiant.

     

    Mais finalement, enseigner le français ou les lettres, est-ce vraiment un métier ? Et est-ce qu’il  s’apprend ? A ceux qui le croyaient, les décisions politiques récentes font comprendre qu’en fait il n’en est rien. Après plusieurs années d’études (pour en savoir un peu plus que les élèves, tout de même), quelques stages accompagnés de discussions avec des collègues (la réflexivité nouvelle manière) et des modules de formation assurés par l’Université (assez savoureux d’imaginer que la formation professionnelle va être « pensée » par un corps de métier qui précisément ne connait pas de professionnalisation : les enseignants d’Université ont appris et apprennent à être chercheurs, mais comment ont-ils appris à être professeurs ?) : voilà sur quels impensés la formation professionnelle des stagiaires est proposée avec pour objectif, si l’on en croit la Note de cadrage de la DESCO du 25 février 2010, de « mieux les accueillir et mieux les former ». Comble d’ironie, le pire est de constater que dans cette note on parle précisément de formation professionnelle et, qui plus est, supposée meilleure.

     

    Comment avons-nous pu passer à côté de tant de bon sens ? Comment avons-nous pu errer ainsi et croire encore que de l’étudiant au professeur, il y avait nécessaire élaboration, transformation de soi soumise à la recherche d’une efficace, celle d’une exigence, inscrite socialement dans le monde du travail, apprendre à autrui ? Là où nous pensions que la formation passait par l’exercice de la pensée, la solution était pourtant simple : il suffisait d’aller sur le « terrain » et de discuter avec des collègues.

     

    C’est donc sur cette question de la professionnalité de l’enseignant de français que l’AFEF a décidé de réfléchir lors de la rencontre du 8 mai et ce, dans des conditions historiques particulières, celles de ce que l’on doit en fait considérer comme une disparition pure et simple de la formation professionnelle. Notre association ne pouvait rester silencieuse sur cet événement. L’AFEF tient en effet à se saisir de ce moment de crise pour revisiter ses fondamentaux, réaffirmer haut et fort ses principes et valeurs, en écho et rapport de filiation avec ce qu’elle a déjà porté par le passé.      

     

    Dès sa création, en 1967, l’AFPF, réclamait une formation universitaire et professionnelle de qualité pour tous les enseignants amenés à enseigner le français, à tous les niveaux d’enseignement. Une commission chargée de ce dossier, lors des premières rencontres à Sèvres, le 1° juin 1967, concluait en ces termes : « D’une manière générale, il importe de former les professeurs de français en tenant compte de ce que le français est, et sera de plus en plus, une discipline majeure aux divers niveaux des divers enseignements. » (Le Français Aujourd'hui, n°1, mars 1968, p28). En 1973, l’accent était mis sur la posture d’enseignant plus que de professeur, quand l’AFPF devenait AFEF. Et, portant le flambeau d’une didactique en pleine constitution, cette jeune association prenait le relais d’une institution bien peu encline à reconnaitre l’utilité d’une formation des enseignants. Ce n’est que dans les années quatre-vingts que cette formation allait s’officialiser avec le développement des MAFPEN qui, recrutant très largement leurs formateurs dans le vivier des militants de l’AFEF, prenaient le risque, paradoxalement, de vider l’association de ce rôle formateur qui lui avait permis de s’affirmer comme force de proposition et d’évolution.  Les IUFM iront encore plus loin dans cette idée d’une professionnalisation en tension constante entre savoirs scientifiques et transpositions didactiques.

     

    Qu'est-ce qu'enseigner le français? En quoi la disparition de la formation nous situe-t-elle à un moment de crise, au sens philosophique de regard critique, et nous oblige-t-elle à faire retour et à nous réinterroger sur le sens de cette professionnalité, "enseigner le français"? Qu'est-ce que c'est précisément que cette professionnalité, celle à laquelle on ne va plus former, et que l'on peut tenter d'objectiver? Un métier , un "artisanat" que l’on doit apprendre,  avec des gestes et des pratiques, une culture et des "techniques intellectuelles" (Bernard LAHIRE) que l’on doit enseigner aux élèves, ou bien plutôt un magistère, une autorité, réduite, devant la disparition de la formation professionnelle, à la seule autorité de la formation universitaire comme garant, et conférée de droit seulement par une qualification académique (concours, diplômes) ? Si les Humanités nous apprennent que le mot « métier » a la même étymologie que le mot « ministère », de quel culte le professeur de français est-il le ministre ?

     

    Est-ce que savoir faire une dissertation ou un commentaire de texte, même excellemment, donne la garantie qu’on sera capable de le faire faire à un autre que soi, un élève ? A cette exigence d’une transformation de posture qu’appelait la professionnalisation va se substituer la (déjà ancienne) croyance en une supposée nature enseignante, portée par l’idéologie (non moins ancienne) du charisme et de la vocation. Par une sorte de sélection naturelle et à la manière d’une ordalie, l’épreuve du « terrain » décidera quelle nature était plus apte qu’une autre à être enseignante. Qui n’aura pas le charisme devra payer le prix fort ou s’adaptera, en s’appuyant sur toutes sortes de croyances, déjà disponibles mais qui risquent de connaitre leur heure de gloire, telle la remise en cause du pari de l’éducabilité de tous les élèves. Devant  l’absence de lieu tiers pour accompagner et penser une transformation de soi, quel horizon sera offert à ceux qui voudront encore devenir professeurs? Celui des recettes données par les collègues pour que les élèves se tiennent tranquilles?

     

     

     

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