Association française pour l’enseignement du français

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  • 11
    Jan

    Enseigner le français aujourd'hui : intervention de Patrick Rayou (et Clémence Cardon)

    Rencontre-débat du 12 décembre 2009 sur l'identité professionnelle des enseignants et sur les origines et l'évolution d'une association à l'épreuve de la démocratisation 

     

    Présentation de Viviane YOUX, présidente de l’AFEF :

    Les interventions d’aujourd’hui font suite à l’annulation du colloque de deux jours prévu en octobre dernier. Elles doivent nous permettre de faire le point, de compter nos moyens et nos forces, et de voir quel avenir envisager pour l’association.

    Il s’agit de prendre acte de cet échec  en répondant aux questions suivantes :

    -       L’AFEF est fondée sur le parti pris de l’éducabilité pour tous. Avons-nous les forces de ce combat dont il n’est pas question de remettre en cause les valeurs qui le sous-tendent ?

    -      Quelles sont les causes des difficultés du militantisme ?

     

    Intervention de Patrick RAYOU

     «L’identité professionnelle des enseignants en questions», intervention de Patrick Rayou, sociologue, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris VIII.

    Ses travaux actuels portent plus particulièrement sur la professionnalisation des enseignants et l’accompagnement des débutants.

     

    L’association doit faire face à quelque chose qui concerne de nombreuses formes d’engagement. La position est  délicate pour tous : le contexte politique, l’évolution sociétale, les slogans populistes.

    Comment accompagner les futurs enseignants ? Les formations sont à revoir et  la formation initiale ne suffit pas.

    L’identité professionnelle pose problème :

    1)    Contexte externe : l’identité professionnelle est mise à l’épreuve, le contexte sociétal a évolué

    2)    Les missions de l’école pour mesurer l’identité professionnelle sont brouillées

    3)    Les publics : les modifications des publics provoquent les changements d’identité professionnelle, voire des métamorphoses avec un appui professionnel peu puissant : massification importante en peu de temps dont on n’a pas pris la mesure

    4)    La « forme scolaire »

    5)    Le français

    6)    Une autre identité professionnelle : que peut nous laisser espérer la notion de genre professionnel (Y Clot)

     

    1)   Contexte externe

    Les  déclinologues sont nombreux, et pas seulement aujourd’hui.  Platon disait déjà que les choses allaient moins bien qu’avant. C’est dire si elles doivent aller encore moins bien aujourd’hui. C’est le propre des professions déstabilisées. On énonce de nombreuses causes : la mondialisation, les familles recomposées, les familles populaires…. Chaque acteur lui-même trouve des causes externes à son malaise : si les acteurs précédents avaient  fait leur travail, tout irait mieux. L’effacement de la frontière  entre profanes et experts (cf les propos entendus sur la vaccination, le climat…) débouche sur un immense relativisme des savoirs : on veut des réponses immédiates, un jour, on ignore le vaccin et le lendemain, on se jette sur les centres. 

    cf Dubet, Le déclin de l’institution : le programme institutionnel est en déclin ; ainsi, dans les métiers de l’humain, les programmes de formation ne sont plus aussi transmissifs qu’autrefois. cf le code Soleil http://crpe.free.fr/LecodeSoleil.htm

    2)    Les rapports entre école et société bougent sérieusement : ce qui est  demandé à l’école n’est plus la même chose qu’autrefois.

    On voudrait que l’école résolve toutes sortes de problèmes. cf A Prost : les mouvements  de jeunesse ont été des modes de réponse et ont d’ailleurs créé le concept de jeunesse (cf Bourdieu : à la place des groupes sociaux, jeunes paysans ou jeunes ouvriers). Aujourd’hui, la jeunesse a une existence au moins quand elle est scolarisée : elle a développé des modes d’être ensemble. C’est la première fois que des jeunes parlent entre eux un langage de jeunes. Et beaucoup de lycéens s’empêchent d’apprendre  par  souci de rester dans le groupe, de ne pas se distinguer.

    Il y a une surprescription d’objectifs adressés aux enseignants, à la fois relationnels et cognitifs : être un peu assistante sociale, un peu animateur, un peu introducteur au code de la route et en même temps enseignant ; accueillir tous les publics, toute une génération (et la trier) et en accompagner davantage certains. Tout cela avec une sous prescription de moyens, une formation insuffisante.

    On s’intéresse aujourd’hui à la souffrance au travail, qui touche aussi les enseignants, d’où une fuite du métier. Le phénomène est  minime en France car il y a une force d’attraction liée à la fonction publique ; mais au Canada (15%), aux Etats-Unis, la fuite du métier d’enseignant est importante. Beaucoup d’enseignants ont l’impression de ne pas pouvoir faire ce travail, de faire un travail empêché, et dans la perspective d’une évaluation qui ne prendra pas en compte le travail effectué. Sentiment très fort, générateur de souffrances qu’on ne peut pas traiter par une prise en charge psychologique (malgré l’agrandissement de la Verrière !).

    3)   Les publics

              Les évaluations sauvages basées sur les performances brutes des établissements  sont des supercheries. La plus ou moins value des établissements données dans les journaux fait croire que les enseignants peuvent tout. Or ce n’est pas le cas.

              Les fragilités se manifestent particulièrement au collège, mais elles apparaissent à l’école primaire. Les enseignants du  primaire se plaignent de comportements   qu’on ne voyait jusqu’à présent qu’en collège.        

    L’enquête menée par Marie Duru-Bellat pendant le ministère de Ségolène  Royal dans les années 90 a montré que les enseignants interrogés sur leurs difficultés pointaient   l’hétérogénéité des élèves, de niveau, de socialisation et les difficultés d’enrôlement. Entre collèges, entre classes, entre élèves, les différences de niveau deviennent spectaculaires : à qui fait-on la classe ? Cette massification -fort mal accompagnée- demande une resocialisation professionnelle : dans beaucoup d’établissements de Seine St Denis, les enseignants, même chevronnés, ne sont jamais sûrs de réussir à enrôler les élèves ; ils doivent se réapprendre  un autre métier (formation clandestine, entre profs) qui a pour contre partie une baisse de la pression cognitive et des pratiques qui s’éloignent des prescriptions officielles (cadre des programmes).

    4)   La forme scolaire

               G. Vincent années 80 : il y a en France depuis le XVIIe siècle une manière d’enseigner qui est propre à l’école et lui donne sa forme, mais qui est aujourd’hui ignorée des élèves.

    Dans la variante institutionnelle républicaine, on n’apprend pas à l’école comme on apprend à la maison, dans la vie. Et beaucoup d’élèves ne le savent pas et ne le comprennent pas.  La forme scolaire prolifère et le temps de l’école envahit tout le temps social : les discours des syndicats sont en septembre. Il y a une porosité de la forme scolaire : si la frontière s’ouvre dans un sens, c’est vrai aussi dans l’autre (MP3, casquette, des langages…), ce qui pose problème à l’école et à l’enseignement.

             D’où les « passages à risque » : faire rentrer en classe, faire passer d’une activité à l’autre, passer de l’oral à l’écrit… On n’est plus alors dans la seule  « forme scolaire ». D’où des bras de fer permanents. Or c’est la même chose qui se passe sous des formes variées. Bernstein parle des « pédagogies invisibles » : les implicites pouvaient exister quand les publics étaient sélectionnés. Mais aujourd’hui, un bachelier sur deux a des parents qui n’ont pas eu le bac. Or, pour réussir, il faut des connaissances qui sont construites en dehors de l’école, par exemple l’autonomie est quelque chose à construire. Ces pédagogies mettent mal à l’aise les enseignants qui ne comprennent pas pourquoi les élèves ne comprennent pas. Les connivences sont brisées et mettent en difficultés familles et élèves des milieux populaires. Ainsi les appels à l’autonomie des élèves et au partenariat avec les familles pour l’aide au travail scolaire sont des multiplicateurs de difficultés (par exemple il n’y a pas de représentation identique du protocole de lecture). 

    5)    Le français

     

    Les savoirs enseignés : transposition des savoirs savants (ésotériques/populaires). Or la discipline « français » est à cheval sur les deux domaines et son identité est problématique pour nombre d’élèves.

    On peut parler d’Entre les murs, de La journée de la jupe. Dès que les enseignants se mettent à parler comme leurs élèves, l’apprentissage du français ne peut plus se faire. L’école n’est pas là pour gagner dans un échange (persuasion) mais pour construire un rapport au réel où se dit le vrai.

    Dans les écoles primaires, si on joue au vrai /faux, on travaille sur le côté concurrentiel et non sur l’apprentissage. Cf la philosophie : les élèves sont heureux de pouvoir dire ce qu’ils pensent. Puis au premier devoir, ils ont une mauvaise note et ils disent qu’ils ne diront plus ce qu’ils  pensent.

     

    6)    Identité ou ipséité (P.Ricoeur) : nous ne sommes plus une profession administrée

    Quelle chance d’être devant un métier créatif où il faut apprendre autre chose ! On a encore un cadre national mais la marge est ouverte pour que des collectifs d’enseignants se créent et définissent par eux-mêmes ce qu’il faut faire. Cf Au Canada, ce qu’on appelle  l’enseignement cellulaire. Ce qui fait déficit, c’est le collectif. On préfère que les CPE viennent chercher les élèves plutôt que de traiter nous-mêmes les problèmes.

     

    "Quand les travailleurs sont malades, c’est le travail qu’il faut soigner et non les travailleurs".
     (Y. Clot)

    C’est ce que le collectif fabrique qui compte.

    On est à un moment où il faut fabriquer du genre professionnel.

     

    *

    Intervention de Clémence CARDON (hors ligne)

    « L'enseignement du français à l'épreuve de la démocratisation», intervention de Clémence Cardon, historienne du Service d'Histoire de l'Education de l'Institut National de la Recherche Pédagogique

     

    Echanges après les deux interventions

    Des remarques

    Les questions évoquées sont vraiment en lien avec notre problème d’aujourd’hui.

    L’AFEF et son rapport à la discipline du français.

    L’association s’est construite sur une haute idée de la discipline. Si on ne peut plus enseigner la discipline, c’est qu’on ne sait plus ce qu’elle est, elle n’est plus au centre de l’enseignement. Mais pour P. Rayou, aucune discipline n’est l’exacte transposition des savoirs savants. Il faut plutôt s’intéresser aux méthodologies de travail nécessitées par la discipline. Aujourd’hui, on ne sait plus quelle est la responsabilité des enseignants de français et des enseignants des autres disciplines. Les frontières sont de plus en plus poreuses entre langue étrangère, langue seconde, langue de scolarisation.

    Les liens de l’AFEF et de la FIPF ont toujours été ambigus : on a délégué à la FIPF de prendre en charge le français langue étrangère.

    Le recrutement des jeunes enseignants n’est plus le même, ils sont souvent là par défaut. Les jeunes sont plutôt des linguistes, ce ne sont pas toujours des lecteurs 

    Expliquer le travail mais pas comme on le fait : l’enseignant explique les consignes ce qui est insuffisant ; on propose de l’aide au travail, mais après la classe et avec des intervenants non spécialistes

    Pour nous, ce qui manque pour beaucoup c’est une approche historique et sociologique dans la formation et dans la pratique quotidienne

     

    Les acquis de l’AFEF.

    La capacité de l’AFPF /AFEF à peser sur les débats et sur les programmes (Haby/ Beulac). Son ancrage sur le terrain (avec les Régionales) s’est tari car le milieu des militants est devenu un ensemble de formateurs et d’universitaires et perdait le contact avec le professeur sur le terrain.

    Le socle commun c’est quand même les idées de l’AFEF, la littérature jeunesse, l’écriture  et sa place dans l’enseignement, c’est l’AFEF. On a besoin d’une AFEF dans ou à côté de l’institution.

    Vous avez eu raison de rappeler l’œcuménisme de départ. Le drame ce fut l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les gens de terrain sont tous devenus des formateurs, par exemple dans la Mafpen, que l’AFEF avait réclamée. Le drame a été, de plus en plus, l’inscription dans le politique des leaders de l’AFEF et l’AFEF est devenue un porte parole officiel.

    Le soutien institutionnel était une réalité en 1973, le Président du jury d’agrégation recommandait aux enseignants d’adhérer à l’AFEF.

     

    La querelle sur le jargon  et la technique : Le technique oui, pas le techniciste.

    Même si Todorov nous a quelque part trahis, on ne peut pas baisser les bras : il faut continuer. Cf un article du Figaro sur le  jargon. Il faut saisir cette opportunité pour démarquer le travail de l’AFEF. Ce glissement techniciste qui s’est fait à un moment, répondait à notre besoin de marquer que nous avions, nous aussi, besoin de mots pour dire un savoir spécifique, qui ne coupait pas du sens. Mais il y a eu des excès aussi et ce savoir s’est retourné contre nous puisque l’opinion publique n’a pas compris. L’AFEF a aussi utilisé ces outils pour aider les élèves et c’était notre façon d’expliciter les « règles du jeu » pour ces nouveaux publics.

     

    Une  revue : pour qui ?

    Ce qu’on observe pour le Français Aujourd’hui, on l’observe  dans d’autres revues. La distance s’est accrue avec le terrain. C’est une revue pour les gens qui écrivent et pas pour les gens qui lisent. Il faut inventer d’autres formes de diffusion. On abandonne l’éthique de la conviction. La revue Le Français dans le monde change : on sépare la revue avec des fiches pratiques et la revue avec les articles de réflexion change de nom. Le Français aujourd’hui a aussi eu ses fiches pratiques et elle a proposé aux adhérents d’écrire dans le FA, en vain. La revue a surement provoqué cette représentation de l’écriture inaccessible. Mais d’autres associations, comme l’APMEP, n’ont pas réussi à essaimer sur le terrain : la rénovation des mathématiques modernes n’est pas passée auprès des enseignants de terrain.

    NB : Les anciens numéros de Repères sont mis en ligne sur le site de l’INRP.

     

    Une conception européenne et économique

    Le niveau européen et international est très prégnant (pisa, socle commun, cadre européen…). C’est ce qui inspire les textes actuels, qui ne sont jamais signés et dont les auteurs sont invisibles. Il faut agir sous d’autres formes d’action : on est sous l’emprise d’une lecture économique et sur un modèle très anglais (compétence / hability…).

     

    Des questions :

    ·         Ne peut-on pas être plus investi sur l’aide à apporter aux enseignants, aux jeunes en particulier, plutôt que de vouloir représenter les enseignants de français ?

    ·         La question du « travail empêché » nous interroge : est-ce qu’un enseignant doit d’abord se penser comme enseignant avant de se penser enseignant d’une discipline ?

    ·         Il serait dangereux de dire qu’on a raté sur toute la ligne. Qu’est-ce qui a été capitalisé ? quel poids l’AFEF a-t-elle eu ?

    ·         Pour  l’association, l’avenir peut-il être seulement disciplinaire ?

    ·         On a juste le temps de lire nos copies : L’AFEF pourrait-elle être une force de proposition ?

    ·         Il  faudrait étudier le rapport entre l’AFEF et les syndicats. Les syndicats ont repris des idées mais pour défendre les enseignants. Ne faudrait-il pas aller vers les syndicats ?

    ·         La plupart des élèves sont scolarisés en technique/technologique. Le poids des disciplines ? Le français est léger pour eux. Est-ce que ces élèves n’ont pas une approche pluridisciplinaire de la culture ? Est-ce que la discipline pour ces élèves n’est pas à interroger autrement ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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