Non à la régression ! Café Pédagogique du 21 avril 2017
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À la faveur du flou qui plane sur la présidentielle en matière d’éducation, le collectif Sauver les Lettres s’offre les colonnes numériques de l’Obs. Pourquoi pas ? Mais lire en ouverture que cette tribune émane de professeurs « animés par un idéal scolaire de gauche » constitue soit un défaut de lecture, soit une insulte à l’idéal scolaire de gauche dont, il est vrai, l’Obs semble s’être bien écarté depuis un certain temps.
Laissons le collectif rédacteur de cette tribune assumer son vocabulaire et ses choix dans une introduction qui s’évertue, une fois de plus, à opposer connaissance et pédagogie novatrice, comme si cette opposition était une évidence. Mais prétendre que la pédagogie se situe dans « la seule optique utilitariste de la connaissance économique », et que leurs principes posent « une politique éducative démocratique vraiment nouvelle », n’est-ce pas prendre les électeurs pour de piètres lecteurs ? Comment pouvons-nous croire et comprendre que la rigueur dans l’acquisition et l’approfondissement des connaissances ne passe pas par des démarches pédagogiques appropriées à des élèves exigeants et divers ?
Après l’introduction, cette tribune développe quatre principes dont les titres, de nature à nous leurrer, pourraient répondre aux valeurs pédagogiques démocratiques qui nous animent, si le contenu qui suit n’en constituait, sinon une caricature, du moins des partis pris fort discutables.
Oui, nous pourrions écrire que « l’institution scolaire a pour mission de donner à tous les élèves, quels que soient leur origine et leur milieu, une véritable formation intellectuelle exigeante », mais qualifier l’interdisciplinarité et les dispositifs qui permettent de relier les connaissances de « gadgets pédagogiques » et « d’activités infantilisantes », c’est balayer d’un revers de main méprisant les efforts de tous ceux d’entre nous qui trouvent des moyens efficaces pour rapprocher les élèves de contenus souvent abscons en leur donnant du sens. Pour enseigner à tous les élèves du territoire les mêmes savoirs avec les mêmes exigences, nous adaptons les méthodes, c’est ce qu’affirme vouloir faire la tribune, mais sans dire comment.
Nous pourrions aussi presque écrire que « le français et les lettres ont un rôle fondamental à jouer dans la formation des jeunes » si nous n’avions pas tendance à penser qu’adjoindre immédiatement les lettres au français, c’est vouloir dissocier deux disciplines, français et lettres, qui n’en font qu’une. Hélas, cette rubrique ne comporte pas de nouveautés quant au discours de Sauver les lettres, déchiffrage en primaire, fin des séquences au collège, défense de la grammaire et de la culture classique. Nous sommes bien d’accord sur la nécessité d’enseigner la littérature à tous les niveaux du primaire et du secondaire. Mais l’absence de réflexion sur la différence entre langue et langage dans l’enseignement nous inquiète, et si le français ne s’enseigne pas dans toutes les matières, ne pas voir qu’il est le vecteur des langages dans toutes les disciplines conduit une bonne partie de nos élèves dans le mur.
Quant au propos sur la laïcité, comment peut-il, sous prétexte de « protéger les jeunes de toutes les pressions idéologiques et économiques », qualifier sans retenue l’enseignement du fait religieux d’« ingérences des religions dans les contenus disciplinaires » ? Peut-être avons-nous mal lu, mais comment ne pas voir derrière ces mots un blâme de points de programmes, et de leurs concepteurs, en l’occurrence le Conseil supérieur des programmes dont le collectif demande la suppression, au motif de collusion avec le pouvoir ?
Et c’est parce que « nous défendons une haute idée du métier de professeur » que nous ne pouvons pas être d’accord avec le contenu du dernier principe. La haute idée que nous nous faisons de notre métier passe par une formation solide, pas seulement universitaire, mais professionnalisante, pédagogique et didactique, qu’une seule observation des classes ne peut pas suffire à remplir. Notre formation initiale et continue a déjà bien du mal à se relever des dégâts commis entre 2007 et 2012, elle n’est pas suffisante, elle doit être consolidée, mais elle porte bien l’idée d’un professionnel de l’éducation dans un pays démocratique. Nous avons du mal à comprendre comment revenir plus en arrière alors que les programmes de 2008 ont plongé l’école et le collège dans une régression et indigence de formation dont ils ont du mal à se relever.
Il est vrai aussi que le modèle de société que nous propose Sauver les Lettres a de quoi inquiéter. Car, derrière des emplois de mots policés qui pourraient faire croire le contraire, ce n’est pas seulement le pédagogique qui est honni, mais aussi le numérique ; grand oublié de cette tribune (à part peut-être dans l’allusion aux « gadgets pédagogiques » innommables) le mot apparait une seule fois pour dénoncer l’intrusion des intérêts marchands dans l’école ! Le numérique est caricaturé comme « tout numérique », réduit à la vente de services et d’« activités ludo-pédagogiques ». De là à faire de l’École une forteresse contre le numérique, isolée d’une société invasive… Dont acte.
L’AFEF s’est aussi inquiétée du peu de prise en compte de l’éducation dans les débats de la présidentielle. Notre Lettre ouverte aux candidats : « L’éducation, un grand flou dans la présidentielle » a été envoyée à plusieurs candidats, une seule équipe a répondu en nous proposant une entrevue. Cette lettre ouverte a été publiée par le Café Pédagogique le 17 mars et est toujours sur le site de l’AFEF. « Nous avons la conviction que les êtres humains peuvent vivre plus harmonieusement dans un monde plus juste s’ils peuvent apprendre à mieux comprendre, parler, penser, écrire. Un projet politique équitable ne devrait pas oublier cette conviction. »
Le 20 avril 2017
Viviane Youx, présidente de l’AFEF