Association française pour l’enseignement du français

Langue(s) de l'école

  • 27
    Avr

    Ecole ou éducation inclusive pour tous, de Philippe Normand

    Compte-rendu du séminaire national des 3-4 avril 2013

    Pour une meilleure lisibilité : lire en format doc

     

    ÉCOLE ou EDUCATION INCLUSIVE POUR TOUS
     

    Le séminaire national « Une école inclusive pour les élèves allophones nouvellement arrivés (dorénavant EANA) et les enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs » (dorénavant EFIV) s'est tenu à Paris les 3 et 4 avril 2013.


    Inauguré par Madame George Pau-Langevin, ministre déléguée à la « Réussite éducative », ce séminaire, alternant conférences et ateliers de travail, s’est déroulé avec la participation de responsables institutionnels (des cadres administratifs, des personnels d’inspection (IGEN et IA),  des responsables et des formateurs de centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants de familles itinérantes et des voyageurs (dorénavant CASNAV), des représentants de l’association des Tsiganes de France et des universitaires (Claire Cossée, Delphine Bruggeman, Cécile Goï, Nathalie Auger, Christine Hélot, Claire Schiff qu’il est difficile de citer tous ici. L’orientation de la réflexion à tenir  lors de ces journées a été donnée par Mesdames Hélène Ouanas sous-directrice du socle commun, de la personnalisation des parcours scolaires et de l’orientation à la direction générale de l’enseignement scolaire et par Madame Catherine Klein, inspectrice générale de l’éducation nationale. 

    Dans le cadre de la refondation de l’école les questions qui se posent sont : quelle approche inclusive définir pour ces élèves à besoins éducatifs particuliers (dorénavant BEP) ? Quelle formation des équipes éducatives envisager pour un suivi des élèves sur toute leur scolarité, pour qu’il s’agisse d’un véritable projet d’accueil des établissements scolaires ? Quel « pilotage » national  mettre en place? Quelles réponses apporter aux discriminations qui portent sur les minorités? Comment prendre en charge scolairement les mineurs isolés de plus de 16 ans ? Les réponses devraient permettre d’assurer au mieux le droit à l’instruction et d’éviter le « décrochage scolaire » qui pourrait s’installer.

    L’objectif commun  était donc de  réfléchir à la façon de favoriser l’harmonisation des procédures d’accueil et de scolarisation des EANA et des EFIV, et d’autre part, de s’interroger sur la portée des nouveaux textes et circulaires  au regard d’une exigence : garantir une inclusion qui permettrait la réussite scolaire de tous. On sait que les comparaisons internationales et les évaluations nationales  montrent que le système éducatif français qui affiche des objectifs d’égalité n’est pas toujours aussi équitable qu’il le prétend compte tenu des différences culturelles et économiques beaucoup plus hétérogènes aujourd’hui.

    Pour mieux comprendre ce séminaire on le replacera dans un long processus de réflexion sur les CASNAV qui commence, en 2009,  par la parution d’un volumineux rapport d’audit : La scolarisation des élèves nouvellement arrivés[1] dirigé par Madame Catherine Klein, IGEN et Joël Sallé, IGA. Un résumé était paru dans le Rapport annuel des inspections générales[2] consacré à l’égalité des chances et la scolarisation des publics à besoins particuliers. Ces documents en ligne sur le site EDUSCOL[3] constatent l’absence d’une politique nationale d’inclusion des EANA, d’une très (trop ?) grande diversité des dispositifs et d’absence d’évaluation d’une encore plus grande diversité de pratiques, efficaces ou non. Le morcèlement administratif rend difficiles les passerelles d’une académie à l’autre et chacun,  dans son coin,  produit et reproduit une quantité industrielle d’outils pédagogiques et d’outils d’évaluation diversement utiles. Si l’éditeur de l’éducation nationale (Scérén) et la revue Ville-École-Intégration (VEI) sont des espaces historiques de mutualisation, le site EDUSCOL est un nouveau moyen de diffusion des ressources et de réflexion sur le FLScol. Il est aussi souligné dans ce rapport qu’une « pédagogie du français langue seconde[4] » peine toujours à se construire et que le continuum qui irait de la méthodologie du français langue étrangère (dorénavant FLE) vers celle du français langue maternelle (dorénavant FLM) en passant par celle de français langue seconde (dorénavant FLS) n’est pas opérationnel. Sur bien des points cet audit reprend les recommandations du rapport de 2002[5].

    La notion de français comme langue de scolarisation (FLScol) est apparue officiellement dans les circulaires 2002 qui indiquaient une « méthodologie du FLS[6] » qui n’aurait « pas les finalités (sic)des démarches (sic)du FLE » mais qui leur emprunterait « un certain nombre (sic) de techniques ».  Tous les auteurs qui s’y sont frottés (M. Verdelhan[7], G. Vigner[8]) ont toujours avoué, in fine, la difficulté de l’exercice. Les circulaires de 2012 consacrent donc le FLScol. On remarquera d’ailleurs la présence de la copule « comme » aussi bien dans FLS que dans FLScol. Le FLS n’a plus qu’une seule occurrence : « l’apprentissage du français comme langue seconde ». Mais on ne la définit pas. Si on parle de langues secondes (3ème, 4ème…), c’est bien qu’il y a une ou des langues premières (maternelles ?). Pour les EANA la langue française est une langue seconde étrangère même si certains EANA peuvent être plus ou moins francophones (compétences partielles) comme les enfants en provenance de certains pays d’Afrique. La didactique des LVE et donc celle du FLE doivent rester une référence tout comme celle du FLM puisqu’elle concerne le français comme discipline mais aussi comme langue d’enseignement et d’apprentissage en classe ordinaire. La « situation de communication » scolaire met en jeu des acteurs sociaux (professeurs, élèves, et tout le personnel d’un établissement ou école) dont les discours oraux (les interactions en classe) et/ou écrits authentiques (photocopies, manuels, règlements, etc.) complexes doivent être collectés et faire l’objet d’exercices (tâches) pédagogiques progressifs afin que les élève acquièrent une compétence scolaire spécifique (cf.  Bouchard 1Bouchard Compétences).

    Un document édité sur EDUSCOL croise les descripteurs du CECRL avec les compétences du Socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Permettra-t-il d’évaluer une « maitrise suffisante » ou un « niveau suffisant », expressions récurrentes dès les plus anciennes circulaires ?

     

    Si des représentants des associations des Tsiganes de France sont intervenus, ce sont particulièrement les migrations des Roms de Roumanie et de Bulgarie sur certains territoires urbains qui nécessitent des réponses urgentes pour faire face aux problèmes d’habitat (campements illicites), d’éducation et de santé. Il est rappelé que deux préfets, M. Régnier et M. Derache, ont été chargés de ces questions et qu’une loi sur les discriminations devrait être prochainement discutée au parlement.

    Dans un atelier sur les parcours personnalisés on s’estétonné d’entendre dire que le sujet de l’inscription des EANA en classes « ordinaires » dans le 2nd degré était ambigüe. Toutes les circulaires au moins depuis 1985 sont revenues sur l’importance d’inclure d’emblée les élèves allophones. Les résistances ne viendraient-t-elles que du côté des professeurs des classes « ordinaires » ?

    Relisons la nouvelle circulaire[9] sur la scolarisation des élèves :

    "2. Scolarisation des EANA

    2.1 L'affectation des élèves et le fonctionnement des classes spécifiques (dans les paragraphes précédents on ne parlait que de structures spécifiques, les UPE2A !)

    L'inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de scolarisation. (…).

    Dans le premier degré :

    Les élèves allophones arrivants sont inscrits obligatoirement dans les classes ordinaires (…).

    Dans le second degré :

    On veillera à ce que les élèves allophones arrivants ayant été scolarisés antérieurement dans leur pays d'origine soient inscrits dans les classes ordinaires (…)."

    Le verbe « veiller à » n’est-il pas une reformulation de l’adverbe « obligatoirement » ?

    C’est donc bien la raison pour laquelle le ministère a mis en place de nouvelles « structures spécifiques de scolarisation », les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), plus souples, dans le 1er comme dans le 2nd degré. Il ne devrait plus y avoir de classes d’accueil ghettoïsantes en parallèle. Il n’y a plus qu’une seule classe, celle des EANA et de leurs camarades francophones. Aussi la circulaire rappelle que « L’obligation d’accueil dans les écoles et les établissements s’applique de la même façon pour les EANA et les autres élèves » et que « La scolarisation des EANA concerne l’ensemble des équipes éducatives ».

    Dans cet atelier, on a beaucoup insisté, par ailleurs, sur la nécessité de suivre la cohorte des ENA sur toute leur scolarité.

    Dans celui sur la formation des équipes d’accueil dans les établissements les suggestions ne sont pas si novatrices et on voit mal en quoi elles relèvent de « pratiques éducatives inclusives ». La pédagogie différenciée est présentée comme la panacée alors qu’elle a fait l’objet d’une expérimentation d’importance dans les années 60, d’une abondante littérature[10] officielle ou non et d’une prescription dans les années 70[11]-80[12] ? On a donc un recul de plus d’un demi-siècle sur la différenciation pédagogique. Il faudrait plutôt s’interroger sur son aporie dans le 2nd degré liée, en particulier, à la diversité de professeurs mono-disciplinaires, à la gestion des emplois du temps des uns (professeurs) et des autres (élèves) ainsi qu’à la rationalisation de l’espace-classe qui provoque un important nomadisme source de nombreux « effets pervers ». En revanche, dans le 1er degré  elle est une évidence depuis au moins les I.O. de 1923-1938[13]: « La réalité scolaire seule peut nous montrer ce qu’on peut ou pas demander de faire (…) à la moyenne (sic) des élèves de onze à douze ans, et c’est d’après cette réalité qu’il faut fixer le but, définir les méthodes, choisir les procédés ».

     

    Dans les circulaires 2012 le profil des formateurs et des professeurs est le suivant : «  Les collaborateurs sont choisis pour leur expertise pédagogique reconnue par les corps d'inspection (notamment en ce qui concerne la pédagogie différenciée, la didactique des langues-cultures et l'enseignement-apprentissage du français comme langue de scolarisation ».

    Si on considère que les élèves sont des alloglottes plurilingues - le québécisme allophone est apparu dans les programmes de français du collège de 1995-99 – et non plus des non-francophones c’est que la ou les langues acquises ou apprises, même partiellement, en dehors de la langue majoritaire dans le pays d’arrivée sont un atout, un savoir et une pratique sur lesquels s’appuyer pour conduire l’enseignement-apprentissage du français comme langue de scolarisation. C’est tout l’enjeu du plurilinguisme qu’ont souligné Cécile Goï et Delphine Bruggeman qui questionnent les catégories : itinérants, allophones, Tsiganes, Roms, etc. N’y-a-t-il pas des sédentaires nouvellement arrivés ? Nathalie Auger[14] et Christine Hélot ont présenté  des pratiques pédagogiques très concrètes.

    Claire Schiff, de son côté, est revenue sur la distinction migrants et descendants de migrants pour expliciter des incompréhensions entre les « Beurs » et les « Blédards » relevées sur les réseaux sociaux. On regrette qu’elle se réfère encore à une enquête sociologique qui date. Elle décrit là des phénomènes interculturels mais la didactique du  pluriculturalisme (CECRL) est encore dans les limbes malgré les travaux initiés par Louis Porcher, il y a plus de trente ans, sur la compétence culturelle[15]traçant ainsi les grandes lignes d’une pédagogie interculturelle développée entre-autres par M. Abdallah-Pretceille ou G. Zarate.  On signale l’approche plus récente des liens entre la forme scolaire et la diversité culturelle par Olivier Meunier[16].

    Dans les circulaires seul le responsable du CASNAV doit posséder une « expertise sur les questions interculturelles ». Mais ces dernières sont pourtant le quotidien de tous les enseignants qu’ils soient ou non dotés de la certification en FLS.  

    La discrimination positive des EANA avancée dans un l’atelier sur la formation, à l’instar des compensations pour certains handicapés, a provoqué encore bien des résistances. Avec l’éducation inclusive nous sommes pourtant dans un nouveau paradigme conceptuel qui doit nous décentrer par rapport à des pratiques traditionnelles ou modernes qui ne s’excluraient pas, mais à propos desquelles on doit se demander quelles sont leurs limites, quels sont les « deuils[17] » à effectuer. Peut-on alors parler de « pratiques efficaces» ? Le CECRL ne dit rien d’autre sur les choix pédagogiques. Quels qu’ils soient, ils doivent être déclarés et explicités (p. 110, chap. 6.4). Une pédagogie inclusive, elle aussi, rend visible ce qui est invisible. Elle explicite le sens des apprentissages[18], cet habitus des "privilégiés culturellement" et/ou économiquement. L’éducation inclusive tient compte des différences discriminées ou pas, que ce soit  consciemment ou inconsciemment et les valorise  chez tous les élèves. On devrait, à cet égard, explorer la notion de Répertoire didactique[19] des acteurs du système éducatif.

    En conclusion, malgré ses doutes et ses incertitudes préliminaires, M. G. Cherqui, IA-IPR de Lettres, a souligné que l’école inclusive ne concernait pas seulement le 1er degré mais tous les acteurs du système éducatif. Il a vigoureusement plaidé pour une éducation inclusive qui ne se limiterait pas à un slogan incantatoire. Dans l’introduction du Rapport annuel des inspections générales[20], on oppose la notion d’intégration à celle d’inclusion. Rappelons rapidement que le terme «  intégration » suppose l’adaptation de l’enfant-élève à l’école et que l’emploi d’ « inclusion » implique l’adaptation de l’école à l’enfant-élève, c’est-à-dire la prise en compte de ses besoins en fonction du niveau de ses compétences (physiques et cognitives) et/ou de ses connaissances (plurilingues et pluriculturelles).

    Si les circulaires 2012 suggèrent d’emblée le développement de « pratiques éducatives inclusives [21]»,  une réflexion s’impose ; qu’est-ce qu’un curriculum inclusif ?qu’est-ce qu’une évaluation inclusive ? On pourrait s’attacher plus concrètement à la notion d’éducation/formation plurilingue et pluriculturelle[22] inclusive. Les Canadiens ont une longueur d’avance sur ce sujet.

    On retiendra, parmi les conférences, celle de la sociologue Claire Cossée sur les politiques publiques, un regard sur les acteurs (publics visés, associations ou experts) qui sont les premiers à évaluer ces politiques. Elle présentait celles qui visent les Roms et les gens du voyage et constatait que, selon les ministères, l’hétérogénéité des mesures était préjudiciable et source d’incompréhension sur le terrain. Les usagers doivent donc être au cœur de l’évaluation. Mais doit-on choisir une entrée ethnicisée ou une entrée juridique fondée sur le droit des personnes ?

    Puisqu’on n’en est pas encore au stade de l’évaluation de cette nouvelle politique d’éducation inclusive issue de la Déclaration de Salamanque[23] (Unesco1994), nous suggérons aux lecteurs, en attendant, de se plonger dans Je suis Tsigane et je le reste un récit d’Anina[24]. La littérature francophone aime tant ces héroïnes et ces héros qui sortent vainqueurs du système éducatif français !

     

    Philippe Normand – avec la collaboration de Régine Dautry

     

    Bibliographie :

    D. Zay, L’éducation inclusive. Une réponse à l’échec scolaire. L’Harmattan 2012

    Pour une école inclusive…quelle formation des enseignants ? CRDP de Créteil 2006

    Elliot Niki, L’école inclusive(Clés pédagogique), Chenelière éducation 2009 (pour grands débutants !)

    Ontario’s Equity and Inclusive Education Strategy

    Équité et éducation inclusive dans les écoles de l'Ontario

    La pédagogie actualisante : un projet éducatif

     


    [1] MENMSR 2009

    [2] La documentation française (chap. 5) 2009

    [3] Lien internet

    [4] Le FLS. Collège. CNDP 2000

    [5] Les modalités de la scolarisation des élèves non-francophones nouvellement-arrivés, IGA-IGEN, MEN 2002

    [6] idem

    [7]Michèle Verdelhan, Le français langue de scolarisation, pour une didactique réaliste, PUF 2002

    [8] Gérard Vigner, Le français langue seconde, comment apprendre le français aux EANA, 2009

    [9] Circulaire n°2012-141- du 2-10-2012

    [10] Louis Legrand, La différenciation de la pédagogie, Scarabée-Cemea 1986

       Jean-Marie Gillig, Les pédagogies différenciées : origine, actualité, perspectives, De Boeck université 1999

       Pédagogie différenciée et enseignement du français,  Pratiques n° 53, 1987

       Pédagogie du projet et différenciation en didactique du français, Le français aujourd’hui n° 85, 1989

      Observation et évaluation de l’ensemble des dispositifs d’aide individualisée et d’accompagnement à l’école, au collège et au    lycée, rapport IGEN-IGA 2010 (en ligne)

    [11] Préparation de la rentrée scolaire 1979 dans les collèges, circulaire du 24 novembre 1978 et Soutien, approfondissement et pédagogie différenciée au collège, Circulaire du 19 juillet 1979

        Louis, Legrand, L’enseignement du français dans les collèges : à la recherche d’une pédagogie différenciée, INRP (1974-1979)

    [12] La pédagogie différenciée au collège, CNDP 1980

        Louis Legrand, Pour un collège démocratique, Documentation française 1982

        Actualité de la pédagogie différenciée, Cahiers pédagogiques n° 503, 2013

    [13] P.H. Gay, O. Mortreux, Hachette

    [14] Comparons nos langues. Démarche d’apprentissage du français auprès d’ENA avec 1 DVD, Scérén 2005

    [15] La civilisation, Clé international 1986

    [16] De la démocratisation de la société à celle des formes de connaissances, L’Harmattan 2008

    [17] Ph. Perrenoud 1992 (en ligne)

    [18] E. Bautier et alii, Apprendre à l’école, apprendre l’école. Chroniques sociales 2006

    [19] Idem note 4

    [20] Vers une école de l’inclusion (1ère partie), documentation française 2009

    [21] Circulaires 2012

    [22] Mariella Causa, Formation initiale et profils d’enseignants de langues, De Boeck 2012

    [23] (en ligne sur le site de l’Unesco)

    [24] City édition 2013

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