La journée de travail et de réflexion intitulée : "L’école, le français et les langues : quelles politiques linguistiques pour l’équité ?" qu'organisait l'ADEB (Association pour le développement de l'enseignement bi/plurilingue) le 30 novembre posait la question de l'articulation entre l'appropriation du français et les langues des élèves. Les travaux de cette journée, dont le programme est en ligne, seront ultérieurement publiés par l'ADEB. Invitée pour représenter l'AFEF dans la première table ronde : "Le français, les français et l'école" aux côtés de Gérard Vigner (IA-IPR de Lettres) et Pierre Escudé (ESPE d'Aquitaine, Université de Bordeaux), je vous propose déjà le texte de mon intervention.
Viviane Youx
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Le français, les français et l’école
Langages-Langue-Littérature
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Il semble que ce qu’on peut attendre de l’AFEF, c’est une connaissance du système scolaire français, et de ce qui se fait à l’école. Plutôt que de proposer une didactique apte à développer le plurilinguisme, sujet sur lequel les chercheurs sont plus compétents, je vais me concentrer sur la manière dont les enseignants de français perçoivent leur enseignement, sur les évolutions contenues dans les nouveaux programmes, et sur les dispositifs qui peuvent favoriser le plurilinguisme. Je terminerai par la dimension anthropologique et culturelle de la langue qui passe par la littérature.
A. Le français à l’école, champs disciplinaires
1. Enseigner le français, enseigner une langue
Dans les champs disciplinaires de l’École française, la responsabilité de l’enseignement de la langue revient au français, comme discipline. Mais de quelle langue s’agit-il ? Une langue vivante, au même titre que les langues vivantes étrangères ? Certainement pas. Il est vrai que l’on ne peut pas enseigner une langue que les élèves connaissent déjà en arrivant, quel que soit le niveau de connaissance, comme une langue qu’ils découvriraient. Les professeurs de français ont toujours eu du mal à se considérer comme des professeurs de langue, s’ils doivent se ranger dans une catégorie, ils montreraient plus leur proximité avec l’histoire, les arts, les langues anciennes pour certains. Leur lien avec les langues vivantes est faible ; au secondaire, la langue vivante a disparu du CAPES de Lettres Modernes ; au primaire, l’élévation du niveau de recrutement n’a pas imposé de langue vivante dans les concours. Le plurilinguisme n’est pas une compétence imposée au professeur de français, nul besoin de connaitre une autre langue pour enseigner le français.
2. Le français, une discipline plurielle
Si les professeurs de français ne se voient pas comme des professeurs de langue, c’est pour plusieurs raisons. Leur recrutement d’abord : au primaire ils sont polyvalents, mais l’épreuve de français est prioritaire dans leur recrutement ; au secondaire leur concours les fait professeurs de lettres, mais ensuite ils enseignent une discipline nommée français. Cette discipline est plurielle, articulant l’enseignement de la langue avec la littérature, pour une formation générale dans laquelle l’accent est mis sur l’anthropologique, le culturel. En français, si la langue est de communication, elle est aussi un vecteur culturel par la littérature.
3. Faire du français ailleurs qu’en français
Ce n’est pas une grande nouveauté de dire que l’on fait du français ailleurs qu’en français. Depuis les années 90, des tentatives ont été faites, d’abord à l’école, puis au collège, avec les brochures ministérielles, La maitrise de la langue à l’école (1992), puis La maitrise de la langue au collège (1997), pour mettre « la langue au cœur des apprentissages »[1]. Mais les démarches proposées se sont heurtées d’une part à l’inertie, d’autre part à une mauvaise compréhension de la démarche. Il ne s’agissait pas que les autres disciplines fassent du français, mais qu’elles s’interrogent sur les opacités de leur langue, et aident les élèves à comprendre leurs spécificités langagières. Depuis, la Recherche[2] a fait des propositions autour des langues des disciplines, les champs linguistique et langagiers se sont précisés. L’étude de la langue française revient au français, alors que le langagier traverse toutes les disciplines. Ce sont ces évolutions que les nouveaux programmes de l’école et du collège prennent en compte.
B. Nouveaux programmes, évolutions disciplinaires
1. Les langages au cœur du Socle commun
Avant la réécriture des programmes de l’école et du collège, c’est le Socle commun qui a été retravaillé. Renommé Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, il s’articule en cinq domaines, et le premier, « les langages pour penser et communiquer », met au cœur des apprentissages la maitrise des langages qu’il décline en quatre spécificités et objectifs : comprendre, s’exprimer en utilisant : la langue française à l’écrit et à l’oral ; une langue étrangère et, le cas échéant une langue régionale ; les langages mathématiques, scientifiques et informatiques ; les langages des arts et du corps. Sont donc affirmées dans ce nouveau Socle appliqué depuis cette rentrée 2016 : la place des langages dans les apprentissages ainsi que la complémentarité entre langue française et langues vivantes.
2. Un programme curriculaire global - Langues des disciplines
Leur présentation est curriculaire, globale, elle relie toutes les disciplines au socle commun, et c’est la première fois que l’on voit rassemblés dans un même document, non seulement les trois cycles 2-3-4, et pour chaque cycle trois parties : les spécificités du cycle, les contributions essentielles des enseignements au socle commun, et le déroulé des différents enseignements disciplinaires.
Ce programme indique, pour chaque discipline, les croisements entre enseignements, notamment au plan langagier ; l’introduction du programme de français du cycle 2 précise ces complémentarités : l’enseignement du français « facilite l’entrée dans tous les enseignements et leurs langages » ; et les programmes des disciplines se terminent par des indications de « croisements entre enseignements » qui insistent sur le langagier, rubrique qui s’ouvre aux cycles 2 et 3 sur cette phrase « Les activités langagières sont constitutives de toutes les séances d’apprentissage et de tous les moments de vie collective… ». Hélas, au cycle 4, qui couvre les trois dernières années du collège, les croisements entre enseignements proposés à la fin du programme de français sont plus thématiques, culturels que langagiers ou linguistiques. Et cette tendance se confirme dans l’ensemble des programmes disciplinaires du cycle 4 ; seule l’éducation physique et sportive intègre la maitrise de la langue française et les compétences langagières dans sa rubrique Croisements entre enseignements. Quand la physique-chimie annonce « utiliser la langue française » dans les compétences travaillées, ce n’est pas pour travailler les spécificités langagières du domaine, mais pour cultiver « précision, richesse de vocabulaire et syntaxe ». Le seul programme du cycle 4 qui prend en compte la langue dans ses objectifs est celui de mathématique dans la compétence Communiquer : « Faire le lien entre le langage naturel et le langage algébrique. Distinguer des spécificités du langage mathématique par rapport à la langue française. »
Des efforts ont été faits dans ces nouveaux programmes pour faire du français l’affaire de tous, mais on voit bien que le cycle 4, qui couvre les trois dernières années du collège où la monovalence est de règle, a du mal à faire avancer l’idée de travailler les langages des disciplines.
3. Langue et langages en français
Les introductions des trois cycles du programme général le rappellent : au cycle 2 « la langue française constitue l’objet d’apprentissage central », « le cycle 3 doit consolider ces acquisitions afin de les mettre au service des autres apprentissages », alors que le cycle 4 insiste plus sur le passage d’un langage à un autre. Mais c’est aussi le français qui occupe, dans l’ensemble des programmes, la première place dans la présentation des disciplines. Discipline charnière ou outil de communication par les langues et langages ? Les choix opérés sont nouveaux, privilégiant l’oral, l’entrée dans l’écrit, la compréhension ; l’étude de la langue est clairement mise au service des activités de compréhension et d’écriture. Les compétences langagières et les compétences linguistiques sont distinguées, et associées, notamment au cycle 4, avec « la constitution d’une culture littéraire et artistique commune ». Langages-langue-littérature, on le voit, la discipline s’éloigne d’une approche purement communicative. Elle a intégré la distinction langue-langages, mais le pôle littéraire reste essentiel.
C. Élèves allophones, plurilinguisme et programmes
1. L’inclusion scolaire hors programmes
À lire ces programmes, on cherche la prise en compte des situations linguistiques variées des élèves. Si la question des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) est évoquée en introduction, elle n’est pas reprise ensuite. Pour trouver des ressources sur l’inclusion scolaire des élèves allophones, il faut aller dans un onglet spécifique du site EDUSCOL, qui présente notamment les CASNAV. La circulaire du 2 octobre 2010[3] qui organise la scolarisation dans les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A) et fait autorité semble hors champ, les programmes de français et des disciplines ne proposent aucune ressource ni démarche pour inclure ces élèves dans les classes ; les professeurs en ont l’obligation, mais les programmes ne le disent pas.
2. Le plurilinguisme hors champ
Et pourtant, la réalité a le dessus. La question de l’hétérogénéité à l’école n’est pas nouvelle, mais probablement qu’elle a pris une autre échelle, avec des classes de plus en plus nombreuses où une importante proportion des élèves ne parle pas français, ou avec difficulté. Peut-on alors, comme le suggère cette journée, s’appuyer sur les langues des élèves pour faciliter l’entrée dans les apprentissages et l’appropriation de la langue ? Avant de poser cette question, nous sommes obligés de nous demander quel rapport entretiennent les enseignants avec les langues des élèves ; nous avons vu que le rapport entre français et langues vivantes n’était pas explicite ; mais la situation se complique encore quand les langues des élèves sont des langues que les enseignants ne connaissent ni ne maitrisent, ce qui est le plus souvent le cas. Et elle se complique encore quand les classes les plus plurilingues sont aussi les plus marquées socialement, celles qui concentrent le plus fort taux de milieux sociaux défavorisés ; la question du plurilinguisme se trouve alors confondue et mêlée à celle des inégalités. Sans prise de conscience, sans incitation institutionnelle, et sans formation, les enseignants, malgré toute leur bonne volonté, ont bien du mal à penser le plurilinguisme et en faire une ressource pour aider les élèves à communiquer, comprendre, apprendre.
3. Des expériences porteuses
Pourtant de plus en plus d’expériences sont menées, surtout au primaire, et dès la maternelle, pour mettre en place des activités langagières croisant différentes langues présentes dans l’école, avec l’aide de parents, ou de médiateurs. Des exemples étaient donnés, lors de la journée Migrer d’une langue à l’autre 2016, de collectivités qui s’engagent dans cette démarche. Elles mettent en place des activités qui qui valorisent les langues présentes dans la commune ou le département, souvent en partenariat avec l’Éducation nationale. Des activités artistiques et culturelles autour des langues sont menées par des associations, des théâtres, en lien avec des classes. Ces expériences, porteuses de réussites personnelles et collectives, mériteraient d’être encouragées à se déployer sur le territoire.
D. Des dispositifs à saisir
À défaut d’indications spécifiques, des dispositifs mis en place en même temps que les programmes pour l’école et le collège ouvrent des espaces dans lesquels il serait possible de donner place aux langues des élèves. Des activités plurilingues peuvent très bien y trouver leur place, à condition que les enseignants soient sensibilisés et formés.
1. Plus de maitres que de classes : ce dispositif institué dans le primaire, sur un modèle déjà tenté dix ans avant, repose sur la mise en place d’une co-intervention entre le maitre titulaire et le maitre+. Il constitue un espace favorable pour travailler avec les langues des élèves, même si cette orientation n’est pas donnée dans les textes. Cela suppose de sensibiliser et outiller les enseignants.
2. L’accompagnement personnalisé étendu à tout le collège : « Tous les élèves doivent bénéficier d'un accompagnement personnalisé pour approfondir leurs connaissances et compétences ou pour prendre en charge leurs difficultés » ; ce temps peut être utilisé pour mener des activités à partir des langues des élèves.
3. L’interdisciplinarité à l’école et au collège (les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires - EPI) ; des activités sur le plurilinguisme entrent tout à fait dans le cadre de projets interdisciplinaires.
4. Les parcours éducatifs : tout au long de leur scolarité, les élèves inscrivent leur formation dans quatre parcours éducatifs. Le parcours citoyen offre un champ intéressant avec « la lutte contre toutes les formes de discriminations et en particulier la prévention et la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, notamment à travers l'ouverture sur l'Europe et le monde » dans lesquels un travail sur les langues trouve tout à fait sa place. Le parcours Avenir et le Parcours d’éducation artistique et culturelle, même s’ils ont des champs plus spécifiques, peuvent s’ouvrir au plurilinguisme.
E. Et la littérature ?
1. Des compétences langagières plurielles
Le français croise langages, langue et littérature, et c’est à cette intersection que se fait l’appropriation du français. C’est dans ce mélange langagier, linguistique, culturel à travers des pratiques langagières variées, notamment interdisciplinaires, que les élèves s’approprient de mieux en mieux la langue. Le discours littéraire, en donnant du corps à la langue, pose des enjeux majeurs, anthropologiques, sociaux, philosophiques qui contribuent à la construction de sujets au cœur d’un collectif. Une langue ne s’apprend pas seule, sans contexte, l’apprentissage du français repose sur une pratique lettrée ancienne que l’introduction de la communication dans les programmes n’a pas éliminée, parce qu’elle donne sens à la langue. Les pratiques littéraires d’écriture, de lecture, d’oralisation sont aussi des pratiques langagières qui résonnent fortement pour des enfants et des adolescents. Le détour par la littérature, notamment par la fiction, fabrique avec le parler-écrire-lire des instruments pour penser, comprendre le monde, mais aussi agir ensemble et construire un collectif.
2. Former des sujets
C’est bien là le projet qui sous-tend la formation langagière et linguistique, former un sujet capable d’agir, de s’engager, mais aussi de penser, de développer sa compréhension. Et ce sujet a besoin de nourrir sa parole ; parler, écrire, c’est pour dire quelque chose, c’est pour raisonner, argumenter, s’engager. La parole s’enrichit de mots, d’expériences littéraires, notamment fictionnelles, c’est là où elle puise les histoires qui permettent au sujet de penser la sienne. C’est aussi une manière, et pas des moindres, de penser la question de l’équité. Des études[4] montrent l’importance du capital culturel pour réussir à l’école – et réussir sa vie ; aider tous les élèves à se constituer ce capital culturel par la littérature qui nourrit la langue, c’est un des moyens de les armer plus équitablement pour être au monde.
Quelques propositions en conclusion :
- Sensibiliser et former les enseignants au plurilinguisme pour qu’ils puissent se saisir des dispositifs à leur disposition pour mettre en place des activités à partir des langues des élèves
- Proposer, dans les ressources complémentaires des programmes, des exemples d’activités plurilingues ; y rappeler l’obligation de l’inclusion scolaire des EANA en apportant des explications, des exemples de réalisations, des expériences qui réussissent
- Rappeler l’importance d’une formation culturelle et pas seulement communicative ; apprendre le français, c’est entrer dans une littérature plurielle, se construire une culture qui aide à vivre et à réussir
[1] Daniel Bessonnat, Maitrise de la langue et apprentissages disciplinaires. Approches transversales au collège en France, Revue internationale d’éducation de Sèvres, https://ries.revues.org/2860
[2]Bernié, Jaubert, Rebière, différents travaux
[4]INSEE, 22/11/20016, La réussite scolaire des enfants d’immigrés au collège est plus liée au capital culturel de leur famille qu’à leur passé migratoire, Jean-Paul Caille, Ariane Cosquéric, Émilie Miranda, Louise Viard-Guillot
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2492183?sommaire=2492313