Association française pour l’enseignement du français

Culture professionnelle

  • 01
    Sep

    Décrochage scolaire

    Rencontres d'été du CRAP 2013, Dominique Seghetchian

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    Décrochage scolaire

     Dominique Seghetchian

    Comme chaque année le CRAP-Cahiers Pédagogiques a organisé du 16 au 22 aout ses Rencontres d'été. Le thème en était « Construire ensemble l'école de tous et de chacun » et, le 18, les ateliers étaient suspendus pour une conférence sur le phénomène du décrochage scolaire avec Marie-Anne Hugon, chercheure à Paris Nanterre dans l'équipe Crise, école, terrains sensibles, et Philippe Goémé, co-fondateur de la FESPI (fédération des établissements scolaires publics innovants), qui a en particulier présenté le fonctionnement des microlycées.

    Dès le début de son intervention, Marie-Anne Hugon a suscité des interrogations en expliquant que la notion de décrochage, institutionnalisée jusqu'à devenir priorité nationale et internationale, est un objet politique qui ne fait, scientifiquement, pas plus consensus que la comptabilisation du nombre de décrocheurs. Sont en effet décrocheurs au sens strict, les jeunes sortant du système scolaire sans brevet ou avec le seul brevet, dont le nombre a considérablement diminué ce que montre Pierre Yves Bernard dans le Que Sais-je intitulé « Le décrochage scolaire » (n° 3928, PUF 2011).
    Le problème vient du cumul de deux phénomènes : l'école a connu une massification sans transformation de la forme scolaire pour accueillir les « nouveaux publics » et celle-ci s'est accompagnée d'un déplacement des normes vers le haut. Du coup le risque d'exclusion professionnelle et sociale, pour les jeunes qui ne parviennent pas à s'adapter au cadre, est beaucoup plus stigmatisant. Et ce d'autant plus que, depuis les années 90, il y a eu instrumentalisation du phénomène avec la construction de la figure du décrocheur comme délinquant.

    Tout en invitant l'assistance à considérer avec la plus grande prudence l'approche par les « facteurs de risques », Marie-Anne Hugon indique qu'on a observé que le décrochage était la conjonction de fragilités individuelles, de dysfonctionnements sociaux et de dysfonctionnements scolaires (être un garçon, connaitre des difficultés d'apprentissage, manifester des troubles du comportement, être confronté à des dysfonctionnements familiaux et/ou à des difficultés économiques). Par ailleurs les travaux de l'équipe ESCOL ont montré que le décrochage est un processus ; les difficultés débutent très tôt, de façon silencieuse, mais ne sont pas repérées et traitées, la forme du collège (plusieurs enseignants, importance des notes) les fait éclater au grand jour.

    Les enfants en situation de décrochage sont particulièrement sensibles aux dysfonctionnements de la forme scolaire. C'est pourquoi le travail sur le décrochage interpelle nos pratiques pédagogiques et didactiques. Des extraits d'un DVD rassemblant des témoignages d'anciens décrocheurs et de leurs parents, recueillis par le Pôle innovant lycéen, PIL, font apparaitre le sentiment de ne pas avoir été respecté par ses enseignants, pas valorisé, l'absence d'échanges ; une perturbation très forte par toutes les dérégulations scolaires ou en lien avec des modalités d'enseignement trop rigides ; le constat de difficultés dans l'acquisition des connaissances ou que les domaines dans lesquels on réussit ne sont pas valorisés ; beaucoup de difficultés autour de l'orientation. Les entretiens avec les parents mettent en évidence leur souffrance accentuée, rappelle Marie-Anne Hugon, par le fait que l'école est forte pour externaliser la difficulté et la pathologiser.

    Parmi les pistes de travail pointées par les deux conférenciers je retiens en particulier tout ce qui concerne les interactions qui dysfonctionnent dans la classe. Cela m'a fortement renvoyée, pour la réflexion didactique, à l'intervention de Dominique Bucheton sur la nécessité du « tissage » telle qu'elle l'a exposée, par exemple, à la 6ème journée organisée par le GFEN sur le thème « L'aide, comment faire pour qu'ils s'en passent » (Lettre de l'AFEF n° 25 d'avril 2013). Cela m'a renvoyée également au dernier ouvrage de Serge Boimare, La peur d'enseigner (Dunod, 2012), dans lequel il met en évidence la façon dont certaines pratiques pédagogiques - sommairement aussi bien les pratiques rigides que les pratiques laxistes, toutes deux issues de ce qu'il nomme « la peur d'enseigner » - renforcent l'empêchement de penser et donc d'apprendre de certains élèves.
    Doivent également être intégrées à la réflexion, dans le travail sur la forme scolaire, toutes les questions qui permettront de prendre en compte sans les stigmatiser les différences de rythme, de cheminement, de fonctionnement cognitif, de gouts. Ceci en ne perdant pas de vue l'essentiel de la problématique pédagogique de la différenciation : comment faire du collectif et être attentif à chacun ?
    Enfin si l'on considère qu'aujourd'hui la majorité des décrocheurs sont en lycée professionnel, secteur gravement malmené, une part non négligeable des solutions ne dépend pas de la seule éducation nationale et des seuls enseignants. Hormis sur Paris qui a la chance d'avoir une offre riche et un nombre non négligeable de filières valorisantes, la construction d'un projet d'orientation, « lent travail d'apprivoisement du rêve et de la réalité » selon Marie-Anne Hugon, s'apparente à un travail de deuil, en tous cas la dévalorisation pécuniaire et sociale de métiers, qui transforme les filières qui y préparent en voie de relégation ne me parait pas de la responsabilité de l'éducation nationale.

    Un dernier point, et il est de taille. Expliquant comment la forme scolaire fabrique du décrochage, Marie-Anne Hugon a mis en avant pêlemêle la pression des notes, la mise en avant de la performance, la hiérarchie des disciplines, affirmant « ne pas être "bon en français" est rédhibitoire ». Certes, mais c'est un peu court. Que signifie "(ne pas) être bon en français" ?
    Tout d'abord de quelles compétences a-t-on besoin aujourd'hui et aura-t-on besoin demain pour réussir les apprentissages et pour prendre toute sa place dans la société? Ou, en d'autres termes, suffit-il, comme semblait le croire l'un de nos deux interlocuteurs lors de notre entrevue au Ministère le 23 octobre 2012 (cf. Lettre d'octobre) de généraliser La main à la pâte pour améliorer la maitrise du français, compétence 1 du Socle commun de connaissances et de compétences?
    D'autre part, s'il s'agit, comme l'indiquait Philippe Goémé en présentant le projet du microlycée, de restaurer l'estime de soi des jeunes et de les entourer d'adultes bienveillants qui ne soient pas sans ambition, la fréquentation de textes forts qui font penser, permettent d'enseigner la compréhension (voir les travaux de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux) et sont assez riches pour nourrir l'apprentissage de l'argumentation (voir la médiation culturelle de Serge Boimare), la littérature ne peut être rayée de la carte des apprentissages scolaires.

    L'AFEF peut-elle impulser ces réflexions aux côtés des différents mouvements pédagogiques appartenant à l'éducation populaire, CRAP, GFEN, ICEM, pour construire ensemble des propositions qui tiennent compte aussi bien des recherches en didactique des disciplines et en didactique des apprentissages, que de l'expérience des enseignants de terrain de la maternelle à l'université?

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