Association française pour l’enseignement du français

Langue

  • 21
    Jan

    Distinguer maitrise des discours et maitrise de la langue

    Entretien avec Elisabeth Bautier : Les enjeux de l'apprentissage de la langue française - « Diversité Ville-École-Intégration », n° 151 - décembre 2007 - SCEREN CNDP
    Si les deux sont nécessaires, Elisabeth Bautier pointe du doigt la difficulté des enseignants aujourd'hui ; prendre en compte les besoins d'expression, la maitrise des différents discours ne doit pas faire oublier la nécessaire maitrise de la langue. Les instructions officielles ne les aident certainement pas, et pourtant il en va de l'apprentissage de la conceptualisation et de la connaissance de la norme, qui manquent cruellement aux plus démunis. Vous rouverez des extraits ci-dessous ainsi que l'entretien complet avec Elisabeth Bautier dans le n° 151 Diversité Ville Ecole Intégration (Les enjeux de l'apprentissage de la langue française) "du SCEREN CNDP

    "Non seulement on ne peut pas transférer les objectifs et les valeurs de l'école du début du XXe siècle, mais on n'ignore plus que la langue constitue pour une part l'identité de ceux qui la parlent, leur manière de se sentir exister, en particulier quand les situations sociales sont difficiles. Les enseignants le savent et, comme ils (re)connaissent le décalage entre la langue «de l'école» et celle de certains de leurs élèves, ils sont aujourd'hui plus tolérants à l'égard d'une langue quotidienne «non scolaire» qui est ainsi actuellement très présente dans les classes. Mais cette tolérance risque de faire oublier que la langue permet de construire les catégories de la pensée, d'élaborer des textes qui permettent de comprendre le monde qui nous entoure, de s'approprier des savoirs. Si l'école ne construit pas la langue et certains usages comme ressources pour certains jeunes qui n'ont que les situations scolaires pour se les approprier, l'injustice sociale est profonde. L'indistinction entre la reconnaissance de l'autre, avec les formes langagières qu'il utilise ' qui ne sont pas celles de l'école ' et l'aide à lui apporter ' pour que, en termes linguistiques et langagiers, il puisse sortir d'une quotidienneté d'échanges ' peut être une des raisons des difficultés des élèves, en particulier dans les situations d'écriture.
    Les modes de faire scolaires dominants aujourd' hui, y compris dans les préconisations officielles, ne facilitent sans doute pas à cet égard la tâche des enseignants, ni celle de certains élèves. Dans la société dans laquelle nous vivons, il est «normal» que chacun puisse prendre la parole, exprime opinions et sentiments personnels ' les médias télévisuels le montrent tous les jours. Faut-il donc aider les élèves à s'exprimer ? Sans doute le faut-il, y compris dans cette visée de démocratie participative souvent évoquée aujourd'hui. Mais si, effectivement, il faut à la fois être attentif à une langue porteuse d'une identité générationnelle, identité doublée pour certains d'une identité plus sociale, s'il faut aussi aider les jeunes à parler en public, à argumenter, etc., et s'il faut aussi leur fournir des ressources pour qu'ils maîtrisent cette langue qui permet de continuer d'apprendre, il est vraisemblable que les enseignants ' qui n'identifient sans doute pas que ces différentes entrées ne sont peut-être pas compatibles simultanément dans les classes ' mettent certains élèves dans des situations de confusion.

    "Une autre distinction nécessaire est celle que l'on peut faire entre maîtrise des discours et maîtrise de la langue. Sans doute est-ce plus «intéressant», motivant, comme on dit aujourd'hui, de produire des discours différents, d'apprendre à argumenter ou à raconter, que d'apprendre les formes linguistiques qui vont permettre de le faire, ou de travailler la langue elle-même. Le risque, quand on travaille les discours, réside dans l'absence de systématicité concernant justement le travail de la langue ; même si, dans la construction de la séquence, pour celui qui a conçu les programmes, il est évident que l'on va également travailler les outils de la langue pour expliquer, raconter, etc. L'histoire que l'on va raconter sera toujours plus intéressante que la manière dont on la raconte. Pour certains élèves, avoir quelque chose à dire et vouloir le dire peut apparaître en contradiction avec l'apprentissage de la langue qui va permettre de le faire. Ce qui leur apparaît comme une frustration ou une mise en cause de ce qu'ils font spontanément provoque une tension. Je pense que l'on a peut-être mis les enseignants dans une situation difficile pour opérer les bons choix."

    "Comment permet-on aux enseignants d'aider ces élèves à se saisir de ce que l'on exige d'eux ' car la vie quotidienne est dans un environnement de l'écrit, et sans doute les enseignants ne mesurent-ils pas à quel point certains élèves sont démunis ? L'élévation du niveau de formation des enseignants y est peut-être également pour quelque chose. De nombreux professeurs des écoles ne mesurent pas les évidences qu'ils véhiculent derrière leurs exigences.
    Peut-être la centration, dominante aujourd'hui, sur les compétences y est-elle aussi pour quelque chose. Je crains que de nombreux enseignants, aujourd'hui, du fait de ce mot de «compétences», ne soient tentés de penser que chaque élève ' c'est certes très généreux ' a en lui-même des compétences qu'il suffirait de mobiliser et de développer grâce à des situations. Malheureusement, ce n'est pas le cas.
    Il est nécessaire d'aider les élèves à construire des ressources qu'ils n'ont pas. On n'enseigne plus de manière systématique les mots qui régulent et orientent l'activité cognitive scolaire. On a tellement peur d'ennuyer les élèves que l'idée de répéter plusieurs fois la même chose, de reprendre la leçon d'une semaine sur l'autre, en vérifiant que les élèves ont appris les notions enseignées, de ressaisir les formes utilisées par les élèves, de les travailler collectivement est assez rare aujourd'hui.
    Dans le domaine des apprentissages, ceux de la langue, comme d'autres, ce n'est pas parce que l'on aura entendu tel ou tel mot-concept que l'on aura compris ; on saura que ces mots existent, mais le sens qu'on leur aura donné est plus aléatoire, plus flou. Les enseignants ont souvent des réticences à faire et refaire. Ils disent souvent: « on l'a déjà fait» ou «on l'a déjà vu»; plus rarement: « ils le savent », « ils l'ont appris ». Penser que les élèves apprennent aisément, spontanément, seulement grâce aux situations construites et aux activités menées est optimiste ; mais cela n'a pas l'air d'être suffisant."

    Les enjeux de l'apprentissage de la langue française - « Diversité Ville-École-Intégration », n° 151 - décembre 2007 - SCEREN CNDP

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