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En ouverture du Laboratoire d’Idées consacré à l’histoire des arts le 23 mars 2013, il a été rappelé que cet axe avait été choisi du fait de la difficulté exprimée par les collègues, à s’emparer de cette nouvelle discipline.
L’histoire des arts, une discipline scolaire dont les contours sont en cours de définition
C’est par cet angle que la question a d’abord été abordée. Il a ainsi été noté qu’il existe une discipline universitaire, l’histoire de l’art au singulier, titre au demeurant de la mention complémentaire qu’un professeur peut valider pour enseigner dans les options (histoire des arts) de lycée ; que l’intitulé, au moins dans le secondaire, renvoie à des disciplines qui se sont senties en porte-à-faux lors de la mise en place du socle commun de compétences, la compétence 5 –culture humaniste- étant une spécificité française qui sonne comme une concession, en particulier à l’Inspection Générale d’histoire.
Nouvelle discipline scolaire, l’histoire des arts interroge les disciplines artistiques : parce qu’elle considère les arts indépendamment de leur pratique, parce qu’elle fait la part belle aux arts visuels (dans le premier degré) plastiques (dans le second degré) au détriment de la musique (significativement « éducation musicale »).
La discipline français aussi peine à s’y faire une place face à la prépondérance de l’histoire et de l’art mise en lumière dans le titre. Rappelons que l’encart du Bulletin Officiel n°40 du 29 novembre 2009, ne prévoit pas les professeurs de français parmi ceux dont la présence est légitime : « [l’évaluation] s'effectue au moment jugé opportun par les professeurs concernés et prend la forme d'un entretien oral mené par un binôme de professeurs comportant au moins un professeur d'un enseignement artistique ou d'histoire. »[1] Ce sera corrigé avec la circulaire du 3 novembre 2011 : « Chaque commission de jury est composée de deux professeurs choisis selon les critères suivants :
- l'un au moins doit enseigner les arts plastiques, l'éducation musicale, l'histoire ou les lettres ;
- l'un au moins des deux membres du jury n'a pas encadré la préparation à l'épreuve du candidat.
L'établissement suscite autant que possible la représentation de toutes les disciplines dans son jury. »[2]
La dissolution du couple « Arts et Lettres », sous la houlette des professeurs d’histoire au collège, brouille singulièrement les contours du littéraire : L’Odyssée peut devenir « document » tandis qu’ailleurs Geneviève de Gaulle-Anthonioz devient auteure littéraire représentative de la Résistance littéraire, de préférence à Desnos, Eluard, Aragon, Vercors… En lien avec la mise en place du socle commun et l’idéologie du patrimoine, l’histoire des arts contribue à l’éclatement (ou au sentiment d’éclatement ?) de la discipline, le professeur de français ne serait pas un de ceux qui créent du savoir sur les arts, mais celui qui, en amont, crée les conditions langagières pour l’accès à ces savoirs et leur maitrise.
La notion d’art du langage a été évincée, pourtant les enseignants de français avaient, dans l’histoire de leur discipline, quelques cartes en leur faveur : depuis la fin des années 70, leur discipline était censée reposer sur 3 piliers : l’écrit, l’oral, l’image. Ainsi dans le Bulletin Officiel spécial n° 6 du 28 aout 2008, dans le préambule, le chapitre II, « La lecture » se décompose ainsi :
1- Fonder une culture humaniste
2- Lecture analytique, lecture cursive
3- La lecture de l’image
Au programme du baccalauréat, en terminale littéraire, pour le domaine d’étude « Littérature et langages de l’image » : pour l’année 2012-2013 doivent être étudiés en parallèle, le roman de Queneau, Zazie dans le métro, et le film homonyme de Louis Malle, en 2013-2014, l’œuvre à étudier sera Les Mains libres de Paul Eluard et Man Ray, œuvre représentative du décloisonnement entre disciplines artistiques –dont la littérature- caractéristique de la production contemporaine.
Dans la tradition des lettres, c’est le français qui était le lieu de la rencontre, pas l’histoire n[1]i aucune discipline artistique[3].
Histoire des arts et démarche de projet
Notre discipline a été un acteur majeur de la mise en place, à partir de 1979, des Projets d’activités culturelles et éducatives (PACTE) et des projets d’actions éducatives (PAE). Une participante se souvient ainsi d’avoir relaté, dans un Supplément au Français Aujourd’hui de 1981, son expérience dans un collège accueillant des élèves très divers dans un contexte difficile. Le projet évoqué était porté par la professeure de français, un professeur de dessin (fan de cinéma), un autre de musique, un autre professeur d’une discipline appelée éducation manuelle et technique (EMT), aujourd’hui recentrée sur la technologie. Il créait avec les élèves, des décors en leur apprenant plein de choses dans le cadre des programmes, notamment de français. La collègue se souvient d’avoir, dans les années suivantes, élaboré et mis en œuvre, d’autres projets artistiques et culturels, interdisciplinaires, où le développement de l’expression corporelle, orale, écrite, de la compréhension des textes était la finalité essentielle, atteinte à l’occasion de la réalisation de spectacles, films ou expositions avec l’aide de CPE, de parents d’élèves et d’autres personnes et professionnels volontaires…
Dès lors, en quoi ce qui est attendu diffère-t-il d’une démarche de projet ? Tout d’abord il ne s’agit pas d’une démarche initiée par des enseignants mais d’une dimension de disciplines (dans le second degré), d’une discipline (dans le premier degré) imposées et dont le programme poursuit une double finalité : disciplinaire et patrimoniale. Deuxièmement, en l’absence de formation, les enseignants, même les maitres polyvalents du premier degré, sont confrontés à des difficultés pour définir ce qu’on attend d’eux. Troisièmement, ce sont les élèves et non les enseignements qui sont transdisciplinaires. De plus, comme l’illustre le film de Clara Bouffartigue, Tempête sous un crâne[4], les rapports aux savoirs et aux disciplines ont changé.
Enfin, la place de la discipline français est reconfigurée : exit les lettres, l’art littéraire et ses mises en mots, en textes, en scènes. Le risque existe que le français n’apparaisse plus que dans sa dimension linguistique, la question qui nous est posée devenant : en quoi le professeur de français peut-il s'inscrire du côté des pratiques langagières (dire, écrire), sur les œuvres d'art.
Un véritable enjeu : la transdisciplinarité
En effet, à la question, clairement posée, de savoir si l’on souhaite que l’histoire des arts perdure dans les prochains programmes, la réponse a été unanimement affirmative.
On constate que ce qui est problématique provient pour beaucoup des pratiques enseignantes : on retrouve certaines résistances observées lors de l’introduction du sujet d’invention au lycée ainsi que l’absence de travail collectif dans le second degré et les routines dans le premier. L’expérience de l’évaluation dans différents établissements met en évidence que l’évaluation collective à l’oral fonctionne bien quand il y a une habitude, dans l’établissement, du travail par projet et du travail collectif. Certes, lorsque les pratiques enseignantes sont individualistes, il y a danger de bachotage et les professeurs de français sont réduits au statut d’évaluateurs-censeurs de la maitrise de la langue. Il manque le plaisir d'apprendre. Mais c’est une raison de plus pour s’emparer de la question et faire des propositions. En effet cette épreuve contraint à réfléchir collectivement sur l’évaluation et, de là, sur l’enseignement. Le premier point positif de l’introduction de l’histoire des arts est d’insuffler du débat pédagogique.
Déjà, parce qu’ils maitrisent l’enseignement du dire / écrire sur les œuvres, des postures pour l’oral, les professeurs de français ont commencé à reconquérir une place plus conséquente, malgré la prééminence de la perspective historienne. Un enjeu pour l’avenir est la promotion de projets culturels qui ne soient pas pour autant imposés. Ce serait sans doute, au niveau des établissements, une mission importante des directions que de créer les conditions qui soient favorables à leur émergence et à leur développement.
Quelles conceptions de la culture humaniste ?
Lieu où s’exprime la tension entre individuel et collectif, l’histoire des arts est aussi un lieu de tension entre passé et présent. Une participante a fait part de ses interrogations sur le fait que certaines conceptions à l’œuvre dans l’histoire des arts lui rappelaient un document de l’OCDE, La culture et le développement local[5]¸ écrit par Xavier Greffe et Sylvie Pflieger, coordonné par Antonnella Noya du programme LEED de cette institution. On y lit que « Cette importance reconnue à la culture s’accompagne de sa redéfinition. » Celle-ci se faisant autour des notions d’industries culturelles et de biens culturels (artisanat d’art, mode, image numérique…). Cette définition de la culture était à mettre en relation, dans une visée de cohésion sociale, avec une vision patrimoniale, potentiellement sclérosante, de la culture.
Ce point de vue est resté isolé. La notion de patrimoine a, au contraire, semblé à la plupart des participants, recouvrir la nécessaire culture commune. Une autre participante a alors évoqué l’article de Jean Davallon dans le Hors série n°36 de la revue Sciences humaines (mars, avril, mai 2002), intitulé « Comment se fabrique le patrimoine »[6] et qui explore comment, dans le processus de patrimonialisation, le passé nous parle de notre présent.
Les participants ont affirmé que l’histoire des arts ne doit en tout cas pas constituer un dispositif d’admiration : la possibilité de refuser l’héritage existe à condition toutefois qu’on en connaisse l’existence. Il est de la mission de l’école de permettre à tous de découvrir ce que certains ont la chance de connaitre par leur environnement familial. De même, pour créer, « innover », il est nécessaire de connaitre les canons. Même en rupture, la nouveauté se construit sur la tradition.
Réconcilier le sensé et le sensible[7]
En observant l’approche de l’histoire des arts dans le premier degré, on remarque que la dimension historique n’apparait qu’au cycle 3 et il apparait pertinent de conserver cette première accroche par le sensible accolé au développement langagier, ainsi s’instaure en effet un travail sur la réception et la posture. Cette rencontre sensible, d’œuvres ou d’auteurs, participe d’une éducation esthétique, elle est susceptible de développer le gout et la curiosité pour les lieux de culture et, partant d’amorcer une culture artistique. L’histoire des arts peut devenir un lieu de la lutte contre l’élitisme. Pour cela un certain nombre de conditions sont à respecter.
Pour que la rencontre soit réussie, il faut être vigilants aux territoires et aux publics afin de définir ce qu’on leur propose, en se méfiant des à priori sur ce que les élèves sont censés aimer. Il est nécessaire de préparer une sortie ou une découverte en amont en mettant en place des dispositifs qui favorisent le « parler sur », et de la remettre en travail après : La question de la réception est essentielle, il arrive que des jeunes soient devant une œuvre sans la regarder tout comme devant un livre sans le lire. A travers l’histoire des arts, ce n’est pas une liste d’œuvres qu’on apprend mais des postures et celles-ci peuvent être transdisciplinaires. Autour d’elles peuvent se construire des compétences, le lien avec le socle.
Pour cela un « bain culturel » ne saurait suffire. Ainsi que l’exprime F. Claus dans L’histoire de l’art et les maitres[8]¸la rencontre sensible doit amener analyse et verbalisation. En voici un exemple adaptable à n’importe quel niveau d’enseignement :
« L’enseignant qui décide de lancer ses élèves sur la piste des arts tirera bénéfice de séquences de lecture comparative entre une affiche et une reproduction d’œuvre abstraite.
Montrer l’affiche. Constater que tout le monde décrypte un message similaire (achetez tel produit et vous serez le plus fort).
Montrer une œuvre abstraite. Après recherche personnelle, écriture d’une liste de mots que chacun rattache à cette peinture, constater les différences.
Comparer les deux résultats[9]. »
Pour que tous puissent apprendre, la compréhension d’une œuvre, qu’elle soit plastique, musicale ou littéraire, demande l’explicitation des enjeux, des opérations mentales etc. Cela se fait toujours dans du travail, avec des techniques, des procédures d’objectivation. Il convient donc de ne pas reproduire certaines des erreurs observées à l’origine des ZEP où l’on imaginait que les artistes seraient de meilleurs médiateurs, où, en somme, on voulait croire à la magie de l’art, au risque que l’occupationnel supplante les apprentissages, mais où, aussi, on résumait l’école à l’ennui généré par le poids de la langue, de l’esprit critique de la distanciation, bien éloignés du quotidien.
Une autre voie pourrait faire de l’histoire des arts une source d’élitisme : la pression évaluative.
Une conclusion ouverte
Les enjeux pour la période à venir sont pluriels. Tout d’abord dessiner les contours et affermir les contenus encore flous d’une discipline nouvelle, l’histoire des arts. Définir plus clairement les objets d’études pour le français et l’équilibre à trouver entre lire / voir (et/ou entendre) / écrire / dire. Expliciter comment il est possible de mettre l’institution en mouvement autour de regards qui se croisent : comment mutualiser les savoir-faire, quelles compétences définir, comment mettre en lien ce nouvel enseignement avec le cadre du socle commun. Éclairer le cadre institutionnel, chercher ce qui doit se mettre en place au niveau des établissements, comment susciter du collectif dans la classe, mais aussi quelles collaborations initier avec les professionnels de la sphère artistique, comment articuler discours des artistes, des animateurs, des maitres... Définir des objectifs et des modalités de formation initiale et continue : quel collectif formateur, avec quelles articulations entre les différentes disciplines et les praticiens ? Quelle place pour les savoirs universitaires ? Comment lier pratiques artistiques personnelles, connaissance des œuvres et pratiques langagières ?
[3]Circulaire n°79289 du 11 septembre 1979 parue au BO n°33 du 20 septembre 1979
[7]" L'art doit contribuer à réconcilier le sensé et le sensible" – Didier Lockwood, Vice-président du Haut Conseil de l’Éducation Artistique et Culturelle
[8]CLAUS F. L’histoire des arts et les maitres, SCEREN 2011, p. 5
[9]Christian LOUIS, Place des artistes, Toulouse (1992), Sedrap ed.