Association française pour l’enseignement du français

Orthographe rectifiée

  • 28
    Oct

    "Refondation de l’école : est-ce que l’orthographe l’a tuer ?", de Dominique SEGHETCHIAN

    Orthographe révisée et démocratisation

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    Refondation de l’école : est-ce que l’orthographe l’a tuer ?

     

    Page 15 du Rapport de la consultation : Refondons l’école, on peut lire « Ces exigences croissantes et souvent contradictoires ont conduit à un renouvellement du rapport des familles avec l’éducation désormais fortement marquée par la marchandisation. De plus en plus aujourd’hui, l’éducation s’achète. Un indicateur de cette situation réside dans la part croissante du secteur marchand : développement exponentiel du marché des cours de soutien (estimé par certains à 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel), émergence d’une offre de coaching en orientation, etc.) »

     

    Ce que disent l’orthographe grammaticale et la syntaxe

    L’accord de l’épithète marquée avec l’éducation est-il la marque d’un choix économique et politique ? En effet, en contexte, un autre rapport syntaxique et orthographique était possible : détachons l’épithète et évoquons un renouvellement du rapport des familles avec l’éducation, désormais fortementmarqué par la marchandisation. N’aurions-nous pas, alors, une orthographe en accord avec ce que le lecteur naïf pourrait espérer : une éducation qui se distancie autant que possible de cette marchandisation imprimée dans le rapport de certaines familles avec l’éducation ?N’aurions-nous pas, alors, une orthographe en accord avec ce qu’une personne, qui n’aurait pas le texte sous les yeux mais bénéficierait de sa lecture orale, comprendrait en interprétant spontanément le texte à partir des valeurs liées à une conception de la « démocratie pour tous » que, naïvement, on croit partagées ?

    En effet, aussi bien les exemples choisis que les premiers mots du paragraphe suivant, « Ce rapport parfois consuméristeà l’éducation se nourrit des défaillances du système scolaire lui-même qui ne tient plus la promesse républicaine. », donnent à entendre que ce sont les parents qui sont responsables de cet état de fait.

    Dans cet écart entre ce qu’un discours donne à entendre - au double sens du terme - et ce qu’il donne à lire se jouent les ambigüités d’une politique. En effet, beaucoup y liront une aspiration à un renouvèlement de la promesse républicaine d’Égalité, alors qu’il peut très bien s’agir d’acter, éventuellement  comme une fatalité,  la marchandisation de l’école. L’accord orthographique trahit-il une naïveté des rédacteurs du rapport face au poids sur l’éducation d’une économie inégalitaire, ou amorce-t-il, même inconsciemment, une manipulation des naïfs que sont la plupart des enseignants et des parents ? Après tout, dans un entretien publié par Le Monde[i], on peut lire que Monsieur Peillon aurait dit : «Pour que tous les enseignants soient formés, pour qu'une industrie nationale de production de contenus pédagogiques numériques voie le jour et qu'un service public de l'aide aux devoirs soit en ligne pour les élèves du secondaire, nous nous fixons l'objectif du quinquennat. » On est loin du projet mutualiste de nos collègues de mathématiques[ii], au sein du service public d’éducation.

    Que dire encore de l’utilisation de l’article défini contracté, lorsqu’il est question du rapportdes familles avec l’éducation, qui gomme le fait que toutes les familles ne peuvent se permettre ce rapport consumériste à l’éducation. Le rapport sur la concertation lui-même souligne par ailleurs l’aggravation des inégalités sociales et territoriales. Il est des classes sociales et des territoires où la distanciation consumériste, qui fait de l’éducation, des connaissances et de la culture un banal bien de consommation, n’est même pas imaginable. Il est des familles qui n’ont d’autre choix que de faire confiance à l’école. Les nier et acter le fait que l’éducation soit un bien comme les autres, soumis au marché, serait entre autres se résigner à l’existence d’une éducation à deux vitesses au moins. Des éducateurs, et le premier d’entre eux, en ont-ils le droit ?

    Ce que trahissent des choix lexicaux

    La même phrase du Rapport de la consultation : Refondons l’école ne contribue-t-elle pas aussi à naturaliser un modèle anglo-saxon de « développement du capital humain », comme façonnage et normalisation, dans un système concurrentiel de chacun contre tous, en mentionnant l’« émergence d’une offre de coaching en orientation » qui serait un des symptômes « des défaillances du système scolaire lui-même qui ne tient plus la promesse républicaine. »? La formulation est inquiétante. Non par l’intégration d’un terme issu de l’anglais : la langue française s’est toujours enrichie d’emprunts, mais parce que l’origine géographique de ces emprunts, variable selon les époques, a toujours été significative des courants de fond qui travaillaient la société. Le fait que les auteurs du rapport s’approprient le terme en l’actualisant dans et par leur propos, actualise le caractère néolibéral de la gestion des ressources humaines en matière d’éducation. On peut dès lors comprendre l’inquiétude de nos collègues COP (conseillers d’orientation psychologues) régionalisés et qui craignent de voir leur mission d’aide à l’orientation vidée de son sens. Quand le « droit au travail », pourtant inscrit dans notre Constitution[iii], et le droit du travail avec sa base contractuelle entre parties dont l’égalité est garantie par l’État et la Justice, sont remplacés par le marché du travail comme facteur de régulation, les élèves des « milieux défavorisés » ne sont pas les mieux armés pour se mettre en valeur et n’ont pas les moyens de s’offrir des « coachs ». 

    Ce que trahissent les choix en matière d’orthographe lexicale

    Enfin, en préférant la graphie renouvellement à celle recommandée par l’Académie Française[iv] pour enregistrer et traduire les recherches de linguistes et de didacticiens de l’orthographe,  renouvèlement, la même phrase atteste que l’institution persiste à se dispenser de l’utilisation de l’orthographe rectifiée dans des textes à statut officiel et qui évoquent L’école du futur. Pourtant celle-ci est recommandée par le BO n°5 du 12 avril 2007 relatif à la mise en place du Socle commun, p.81, note 3[v], par le BO hors série n°3 sur les programmes de 2008 pour l’école élémentaire qui rappelle p. 37 que « L’orthographe révisée est la référence » ainsi que par le BO n°18 du 3 mai 2012. Certes « ce n’est pas une faute », mais ce rapport ne devait-il pas « innover » et se montrer exemplaire en ouvrant la voie pour la mise en œuvre d’une rénovation symbolique d’une volonté de cesser de faire de l’orthographe, et de la maitrise de la langue en général, un outil de distinction sociale au détriment de la démocratisation de l’école et donc de la démocratie ?

    Appliquer l’orthographe révisée signifie que l’on marque graphiquement la dérivation du nom renouvèlement à partir du verbe  renouveler, de même que la graphie –ll- marque la dérivation de l’adverbe nouvellement  à partir du féminin nouvelle de l’adjectif nouveau, nouvel . Elle marque ainsi la distinction entre les deux suffixes -ment  et l’importance, pour maitriser la langue, d’articuler savoirs grammaticaux, lexicaux et orthographiques. Appliquer l’orthographe révisée signifie par exemple, en matière de conjugaison, que les élèves ont à apprendre deux modèles : peser pour les verbes en e.er et céder pour les verbes en é.er, assortis d’une liste réduite à 2 exceptions notables : les familles de jeter et appeler. Ne pas l’appliquer signifie que les élèves devront en apprendre quatre, en ajoutant aux précédentes jeter pour les verbes en –eler et –eter et modeler pour le même type de verbes, assorties de deux listes de verbes prenant l’accent. Cela entretient une représentation de l’orthographe française source de difficultés : elle n’obéirait à aucune règle lisible du commun des mortels et il faudrait perdre beaucoup de temps à mémoriser l’orthographe des exceptions voire celle de chaque mot, chaque forme du verbe…

    Appliquer l’orthographe révisée, pour tout ce qui est en rapport avec l’accentuation, rapproche la forme écrite des mots de leur forme orale et élimine des caractéristiques qui ne font plus sens. Ne pas appliquer l’orthographe révisée, c’est préférer manifester pouvoir et distinction à travers la maitrise d’une langue d’exceptions. Appliquer l’orthographe révisée c’est, en somme, faire le choix de la démocratisation de l’école.

    Décidément, dans le Rapport de la consultation : Refondons l’école, les choix linguistiques, tant orthographiques que syntaxiques ou lexicaux, peuvent laisser craindre que perdure la panne de la démocratisation.

    Dominique Seghetchian



    [iii] Préambule de la Constitution du 27 octobre 1916, intégré à la Constitution de 1958 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

    [iv] Journal Officiel du 6 décembre 1990

    [v] ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2007/hs5/hs5_approfondissement.pdf : « On s’inscrira dans le cadre de l’orthographe rectifiée. Les rectifications définies par l’Académie française ont été publiées au Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990, édition des Documents administratifs. Elles se situent tout à fait dans la continuité du travail entrepris par l’Académie française depuis le XVIIème siècle, dans les huit éditions précédentes de son Dictionnaire.

1 Commentaire

  • Hébrard

    08 Mai 2013 à 23:25

    Je partage votre point de vue et je regrette (regrète ?) comme vous que l'institution ne soit pas plus volontariste dans la mise en œuvre de cette réforme pourtant bien modeste. Ainsi la dictée du brevet de l'an dernier proposait contiguës, et non contigües comme la réforme le préconise, et - comble de pusillanimité ? - nous demandait de l'écrire au tableau.
    Merci donc pour votre article.

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