Association française pour l’enseignement du français

Nos engagements

  • 29
    Oct

    "Militez, militez, le temps n’en est pas révolu !" de Viviane YOUX

    Suite de l'entrevue au Cabinet du Ministre du 23/10/12

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    Militez, militez, le temps n’en est pas révolu !

     

                L’entrevue d’une délégation de l’AFEF au Cabinet du Ministre le 23 octobre ne s’est pas déroulée comme nous l’avions espéré. Nous nous demandons dans quelle mesure la relation entre les modalités de l’enseignement-apprentissage du français et la production d’inégalités scolaires, fil rouge de tout notre propos, a bien rencontré les échos attendus.  

                La présentation de notre association, de son histoire, de son positionnement idéologique, que nous considérions comme importante au vu d’un continuum plus que de la convocation d’un passé glorieux, ne faisait pas vraiment écho, sauf pour évoquer une autre rencontre avec l’association des classes préparatoires dont il ne nous semblait pourtant pas que le champ était, comme le nôtre, celui de l’enseignement du français de la maternelle à l’université.

                La préparation rigoureuse sur laquelle nous nous appuyions (élaborée à partir du travail mené dans le cadre du laboratoire d’idées du 9 juin 2012), que nous avons communiquée à nos interlocuteurs sous une forme argumentée, ne trouvait pas vraiment d'échos. Peut-être avons-nous cru à tort que les débats qui agitent notre discipline, les notions et savoirs qui la constituent, les compétences transversales qu’elle développe chez les élèves, étaient censés être largement connus ? Peut-être aussi, en centrant nos constats sur l’axe des inégalités scolaires et sur ce qui, dans notre discipline, y contribue au lieu de les atténuer, avons-nous dérouté nos interlocuteurs et préjugé de leur connaissance d’éléments précis d’analyse et des solutions préconisées ? À propos par exemple de nos questionnements sur « la compréhension de l’écrit » et « la littératie », termes que nous employions selon la terminologie des évaluations PISA et des travaux de recherche unanimement reconnus, nous pensions avancer sur des conceptions relativement partagées et n’imaginions pas,  grâce aux précautions oratoires que nous croyions pourtant avoir prises, que « compréhension » pouvait s’entendre malgré tout comme une évidence de sens commun et « littératie » seulement dans l’acception restreinte de lecture-déchiffrage.

     

                Nous avons tenté d’argumenter sur le positionnement du français dans une approche interdisciplinaire de la maitrise de la langue et sur la place de la lecture dans les inégalités culturelles. Refusant de nous situer dans une perspective corporatiste, nous interrogions surtout la discipline au regard des compétences du socle commun et, reprenant des exemples précis tirés de l’argumentaire élaboré à l’issue du laboratoire d’idées de l’AFEF, nous insistions sur la nécessité de réécrire les programmes et de tenir compte de la progressivité des apprentissages, notamment pour l’étude de la langue.

                Mais notre demande que l’AFEF soit associée à une réécriture des programmes de l’école et du collège pour permettre une articulation avec le socle commun demandée lors de nos travaux nous fut renvoyée comme une question, légitime au demeurant : avions-nous des listes, des documents à fournir ? Il serait difficile de faire appel à toutes les associations pour siéger dans le nouveau Conseil National des Programmes, l’AFEF ne serait probablement pas plus qu’une autre conviée à participer en présentiel.

                Nos autres propositions ont également recueilli des réponses assez mitigées. Certes, nous aurions souhaité que notre couplet sur la nécessité de faire évoluer l’orthographe pour diminuer les inégalités et d’appliquer l’orthographe rectifiée dans tous les programmes et textes administratifs attire plus qu’une écoute amusée, même si nous y sommes habituées, et ne pensions pas obtenir gain de cause sur ce sujet si sensible.

     

                Enfin, nous ne sommes pas sures d’avoir été entendues sur les priorités que nous avions fixées pour la formation : apports sur l’enseignement-apprentissage explicite de la compréhension de l’écrit, sur les processus d’apprentissage, sur une approche interdisciplinaire de la maitrise de la langue, apports enfin issus de la sociolinguistique et de la sociologie des inégalités scolaires. Peut-être allions-nous trop loin trop vite et nos demandes ont-elles surpris ? Probablement nos interlocuteurs s’attendaient-ils à des demandes plus strictement disciplinaires et ont-ils été déroutés par la perspective transdisciplinaire de réduction des inégalités que nous adoptions ?

                Notre dernière question sur la reconnaissance des associations a suscité de l’intérêt, même si la question est difficile, et il nous a été demandé dans quelle mesure nous pourrions nous joindre à d’autres associations pour former un ensemble qui puisse constituer un interlocuteur unique pour le Ministère ; un travail plus régulier pourrait être mené avec un regroupement du type CAPE, mais pas directement avec les associations pour éviter l’émiettement ; un relai des associations dans la formation pourrait avoir lieu dans le cadre académique, mais plus difficilement au plan national. Quant à la question de valider dans la carrière la participation à des conférences, des modules de formation ou des activités associatives, c’est évidemment un sujet délicat, sur lequel nos interlocuteurs pouvaient difficilement se prononcer.

                L’entretien est revenu plusieurs fois sur la liaison CM2-6ème : interrogées sans bien percevoir les enjeux de cette insistance, nous prenions parti pour une continuité dans le cadre du socle commun, mais nous insistions sur la nécessité de poser clairement des paliers bien définis. Les enjeux deviennent plus clairs avec le projet d’inscription dans la loi d’expérimentation de « l’École du socle » regroupant l’école et le collège, sur lequel nous ne nous sommes évidemment pas prononcées, n’ayant pas compris que nous étions interrogées là-dessus. Nous en prenons conscience, une entrevue politique s’inscrit toujours dans un contexte dont il est parfois difficile de percevoir les enjeux.

     

                Des inquiétudes subsistent. Comment notre discours sur les inégalités scolaires et sur les conditions d’une démocratisation de l’école peut-il vraiment être entendu ? Quelles assurances avons-nous que la refondation ne consistera pas en une consolidation des constats ? Nous voudrions voir des signes que, derrière les volontés certaines de restaurer la confiance et l’équité, soient vraiment prises en compte les questions de l’appropriation des savoirs, de l’acquisition des compétences et des conditions de la réussite pour tous.

     

                En effet,  renvoyer des associations comme la nôtre, soucieuses de problématiser et d’étayer scientifiquement les questions qui traversent le champ des apprentissages spécifiques, à un collectif d’associations généralistes, c’est à nos yeux risquer un brouillage dont on ne voit pas comment la réflexion commune sortirait enrichie. Les deux thèmes sur lesquels le CAPE a été entendu par les ministres, la mise en place des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPÉ) et l'organisation du temps scolaire à l'école primaire, gagnent à être envisagés dans la complexité, c’est-à-dire en intégrant des points de vue disciplinaires aussi bien que généralistes. Ces deux thèmes ne suffisent en outre pas à structurer la réflexion des associations sur les conditions de la démocratisation dans les différents champs disciplinaires.

                Si une association de spécialistes n’entre pas dans une réflexion approfondie, en lien avec la recherche, sur la discipline qui constitue son objet, à quoi sert-elle ? Et faute de relais institutionnels probablement difficiles à trouver, il ne lui reste que la sphère militante pour se faire entendre. L’AFEF pourra-t-elle rester le creuset bouillonnant des questionnements didactiques sur l’accès aux savoirs, la maitrise de la langue, la construction de la compréhension, l’acculturation littéraire ? En continuant à questionner les tensions sociales, en lien avec les travaux de la recherche, elle contribue à imposer une image ouverte de la culture, intégrée et non segmentée, qui devrait entrer dans le portfolio de chaque jeune Français à la fin de sa scolarité. Le militantisme a encore de beaux jours devant lui. Avis aux amateurs !

     

    Viviane YOUX           

     

1 Commentaire

  • LEFEBVRE

    01 Nov 2012 à 18:24

    Les résultats de cette entrevue m'interpellent.

    Qui mieux qu'un enseignant de terrain peut apporter sa pierre à la construction de nouveaux programmes prenant en compte les réactions des élèves ?
    Certes, les didacticiens ont leur mot à dire.
    Certes, il faut que le politique donne des orientations et puisse assurer le financement.
    On ne peut couper l'enseignement du fonctionnnement de la cité.

    Mais ce qui se passe dans une classe a une autre épaisseur que la théorie et que des courbes statistiques ou des bilans financiers.

    Il faudrait que les élèves, les parents, les responsables politiques comprennent qu'une associatoon professionnelle d'enseignants cherche à ce que le métier qu'elle défend soit exercé le mieux possible pour le bien de tous, et d'abord pour celui des apprenants.

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