Association française pour l’enseignement du français

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  • 28
    Juin

    Genre théorique ou sexisme voilé, de Viviane Youx

    Pour une féminisation de la langue

     

    Loin de moi l’idée de souscrire aux attaques frontales de Christine Boutin contre l’introduction des études du genre (gender studies) dans les programmes scolaires, ni même à celles plus feutrées de l’enseignement catholique sous contrat (il est difficile de croire que les 20 % de collègues qui y enseignent approuvent). Si introduire une réflexion sur le genre permet de questionner l’identité féminine et masculine dans ses composantes biologiques et sociales, nous ne pouvons que nous en réjouir. Alors féminité s’opposerait à masculinité, et le genre deviendrait le support d’une nouvelle humanité qui n’établirait pas de domination du masculin sur le féminin. Nous rejoindrions donc une tradition de l’AFEF qui, dans le domaine social, mais aussi dans la littérature et dans la langue, a toujours traqué les pseudo-évidences hiérarchiques pour lesquelles la nature a bon dos : sous couvert de différences biologiques que personne ne songerait à nier, les critères sexués, géographiques ou de couleur sont autant d’éléments au service d’une discrimination sociale qui laisse sur la touche ceux qui n’ont pas la chance d’être dans la connivence des groupes dominants. Si le concept de genre s’inscrit dans cette critique des rapports sociaux de domination / soumission, alors il permet de penser autrement la question du sexisme qui, passées les actuelles poussées médiatiques, risque bien de sombrer à nouveau dans une léthargie bienveillante mais peu efficace. Sous des effets de mode grand public, il est de bon ton de traquer les manifestations du sexisme sur les écrans (Journée de la Jupe vs Desperate housewives), dans les prix littéraires (Une Marie Ndiaye vaut-elle un Houellebecq ?), à l’Université (Plan de l’université Paris 7-Diderot 14 juin 2011), à l’école-même où l’on s’émeut des différences de résultats entre filles et garçons diamétralement opposées aux différences avérées sur le marché de l’emploi.

    Mais, une fois passés ces effets d’annonce, une fois oubliée la tempête médiatique qui cloue au pilori quelques harceleurs ou violeurs, les études du genre permettront-elles de poser la question d’un sexisme beaucoup plus voilé, celui qui se niche au cœur de la langue ?  Prenons deux exemples, celui de la désignation homme / femme et celui de la féminisation des noms de fonctions.

    Premier exemple : "homme" serait une sorte de neutre qui ne connoterait aucun caractère sexué, ni masculin ni féminin. Les femmes seraient alors des "hommes" comme les autres, peut-être un peu moins quand même que les hommes, qui, eux, sont des hommes. La femme doit-elle être un homme pour exister linguistiquement ? Le genre permettrait-il de désigner différemment l’homme quand il est un individu non sexué (homme terme générique pour l’humanité ?) et quand il est sexué (homme vs femme) ? Comment sortir de cet imbroglio linguistique ? Le problème est que, dans la langue, la désignation masculin-féminin instaure déjà un rapport de domination. Le genre linguistique, qui distingue les noms masculins et féminins selon un arbitraire mis en évidence par les comparaisons entre langues à genres, introduit cette domination dans la règle des accords. Certains prônent l’émergence d’un neutre qui faciliterait certes l’apprentissage du français, mais une telle réforme de la langue est-elle réaliste ? Et si l’on en arrivait là, quel accord serait retenu pour un groupe composé d’hommes et de femmes, de filles et de garçons ? Réussirait-on, pour autant, à éliminer la soumission d’un genre à l’autre ?

    Deuxième exemple : pourquoi est-il si difficile, en France, de féminiser les noms de métiers et de fonctions ? Immédiatement, les arguments fusent. Tout dépend du métier, bien entendu. Les métiers de soin, prétendument féminins, ne posent a priori pas problème tant que l’on reste dans une catégorie inférieure : infirmière, aide-soignante, sagefemme (dur pour les hommes) ; la féminisation de docteure a plus de mal à passer, alors que les femmes représentent un tiers des praticiens ! C’est que cette terminaison en eure se trouve très critiquée :professeure, auteure font bondir autant que docteure, comme si les femmes avaient encore du mal à être majeures. Quant à écrivaine, n’en parlons pas, cette sonorité en aine choquerait les oreilles, par rapprochement, probablement, avec vilaine ; mais que faire alors de cette agréable sonorité dans un mât de misaine, dans marjolaine qui donne un joli prénom, comme Solène, Violaine…  La féminisation des noms de métier énerve car, dans un certain nombre de cas, elle serait laide, comme si féminiser un métier lui faisait perdre rapidement de son prestige. Mais l’argument choc est celui des fonctions, on voudrait bien féminiser les métiers, mais pas les fonctions : pourquoi ne pourrait-on dire une juge, une avocate, une ministre, une rectrice ? Comme par hasard, toutes les fonctions sont masculines, ou presque, il y a bien sentinelle ; peut-être vaudrait-il mieux dire : toutes les fonctions supérieures sont au masculin, même si le mot fonction est lui-même féminin. On veut bien voir des femmes occuper des places qui rendent service, les présidentes d’associations ne manquent pas, mais que dirait-on d’une présidente de la république ? Si les députées étaient plus nombreuses auraient-elles enfin droit au féminin ? Pourquoi les femmes ont-elles encore autant de mal à occuper des postes supérieurs alors que les filles réussissent mieux à l’école que les garçons ?

    Ce ne sont là que quelques exemples ponctuels qui montrent le chemin qui reste à parcourir pour que femmes et hommes se situent à égalité. La langue permet en effet d’installer une forme de sexisme insidieux qui s’insinue au quotidien de manière "insignifiante" pour rendre acceptables des expressions plus violentes de discrimination. Les arguments les plus rationnels contre une féminisation de la langue ne servent souvent qu’à masquer un sexisme qui ne veut pas s’avouer, tant le terme lui-même fait peur, renvoyant aux connotations les plus négatives des premières féministes. Nous n’en sommes pourtant plus là. Ce n’est pas la négation de leur féminité ou de leur masculinité qui permettra aux unes et aux autres de trouver leur place. Mais bien la reconnaissance qu’il y a encore d’énormes efforts à faire pour que les hommes et les femmes vivent côte à côte dans une humanité partagée sans soumission. Et la langue devra trouver des moyens pour le dire. Si le "genre " peut sortir d’une approche trop théorique pour poser la question sociale de la place des catégories discriminées, alors il lèvera une partie du voile sur le sexisme. Si, à l’instar des attaques actuelles, il reste confiné dans un discours pseudo-scientifique à fondements biologiques, il y a des chances pour que rien ne change.

     

1 Commentaire

  • Sophie Loizeau

    28 Juil 2011 à 08:56

    A l'attention de Viviane Youx,
    Bonjour Madame, j'aimerais beaucoup échanger avec vous à propos de cette question / réflexion du genre dans la langue et qui est au coeur de mon travail depuis plusieurs années. Je puis vous adresser des extraits photocopiés de mon dernier livre (La Femme lit, éd. flammarion) et aussi de ce que j'écris aujourd'hui et qui entre parfaitement dans votre champ.
    La lecture de votre article m'a montré que je n'étais pas seule - car nous nous heurtons à beaucoup d'incompréhension... j'espère de vos nouvelles,
    bien cordialement,
    Sophie Loizeau
    Il y quelques temps Serge Martin avait conduit un entretien avec moi dans la revue.

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