Association française pour l’enseignement du français

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  • 01
    Sep

    Verlaine, « de rêve et de précision », par Serge Martin

    Revue Europe, « Verlaine », dirigé par Steve Murphy, n° 936, avril 2007 (18,50 ').

    Verlaine est au programme de l'agrégation pour Fêtes galantes, Romances sans paroles, précédé de Poèmes Saturniens (Collection « Poésie », Gallimard).

    Petite généalogie : cela commencerait avec le siècle puisque le colloque de Cerisy dirigé par Jean-Michel Gouvard et Steve Murphy (1996) est publié en 2000 (chez Honoré Champion). Sept ans plus tard, deux revues de poids sortent chacune leur « Verlaine » dont voici les sommaires qui livrent, par la même occasion, les noms des « verlainiens » : S. Murphy : « Pauvre Lelian », J.-L. Steinmetz : « Verlaine par Verlaine », V. de Moraes : « À Verlaine », L. Ray : « Singulier Verlaine », B. Vargaftig : « Ayant poussé' », B. Pasternak : « Paul-Marie Verlaine », S. Solmi : « Verlaine, à l'évidence », M. Pakenham : « Un article de Verlaine retrouvé », P. Verlaine : « Des joies de la misère », G. Peureux : « Ce que le XVIIe siècle fait à Verlaine », K. Kurakata : « Une poétique « sans paroles », C. Hervé : « Romances sans paroles, un livre de contradictions », B. de Cornulier : « La pensée rythmique de Verlaine », J. Bienvenu : « L'Art poétique de Verlaine : une réponse au traité de Banville », O. Bivort : « L'Art poétique du XIXe siècle », A. Bernadet : « L'intime et le politique chez Verlaine », L. Quéméner : « Verlaine critique de Hugo dans les Mémoire d'un veuf », Y. Frémy : « La Mort Verlaine », M. Imura : « Ce qu'est d'attendre à la gare », S. Murphy : « Au-delà de l'angoisse », M. Robic : « Verlaine et le saphisme », S. Dupas : « Entre l'Esprit saint et l'esprit 'satyrique' », N. Wanlin : « Verlaine au miroir de l'art », J.-D. Wagneur : « Les Dieux de Verlaine », C. Bataillé : « Jadis et Naguère en devenir », A. Chevrier : « Des vers inédits de Verlaine ? ».

    Revue des Sciences Humaines, n°285, 1er trimestre 2007, « Forces de Verlaine, textes réunis par Yann Frémy.
    S. Murphy : « Sur deux prologues manuscrits de Verlaine », M. Pakenham : « À propos d' 'Ægri somnia' et les 'uvres complètes de Verlaine », A. Bernadet : « Le mystère Rembrandt », « Cette Ronde de nuit' » (Épigrammes, XVI, 6), D.A. Powell : « Debussy et Fauré traduisent Verlaine : les mises en musique de Clair de lune », J. Guittard : « Verlaine au café : trois clichés de Dornac », J.-L. Aroui : « Les triolets de Verlaine : métrique, datation, attributions », S. Murphy : « Expressivité et rhétorique : À une femme de Verlaine », J.-P. Bobillot : « Baudelaire / Verlaine / Rimbaud (et retour) », Y. Frémy : « L'urgence de la pensée : au sujet de La Bonne Chanson, VII », P. Brunel : « D'une prétendue 'saison en enfer' de Verlaine », S. Dupas : « La figure de 'Pauvre Lélian' ou les malices de Paul Verlaine », C. Prigent : « La poésie n'est pas à l''il ».
    Enfin, on le savait depuis sa soutenance de thèse le 15 novembre 2003 (« En sourdine, à ma manière : pour une poétique de la voix chez Verlaine », dir. Gérard Dessons à Paris VIII-Saint-Denis), Arnaud Bernadet devait nous livrer quelques ouvrages « sur » Verlaine. Voici le premier : Arnaud Bernadet commente Fêtes galantes, Romances sans paroles précédé de Poèmes saturniens de Paul Verlaine, foliothèque n° 147, Gallimard. Sont annoncés L'Exil et l'utopie ' Politiques de Verlaine et « En sourdine, à ma manière » - Poétique de Verlaine.

    Lisons celui qui vient de sortir et qui tombe à point nommé pour les préparationnaires mais aussi pour tous. Car commençons par resituer notre Verlaine et engageons sa lecture peut-être même à contre-actualité. Car le poète XIXe de l'agrégation risque certainement de subir ce qu'il a depuis toujours été obligé d'endosser, « l'auteur de ces chants mélancoliques » que seraient fondamentalement les Fêtes galantes et les Romances sans paroles quand Bernadet commence par rappeler le « poète du mélange » (p. 23). Signalons d'abord la qualité de l'essai et du dossier réalisés par Bernadet : construction spiralaire mêlant une approche quasi linéaire des recueils et une problématisation progressive sans concessions de l'écrire-Verlaine. Notre Verlaine est donc d'abord celui « où les différentes lignes d'expression littéraire cohabitent, interfèrent et se confondent parfois » (p. 22) et pour cela il faut le lire, le relire, non plus seulement logiquement voire biographiquement mais d'abord poétiquement. Ce que fait Bernadet en plaçant toute sa démarche dans l'attention à la manière, dans sa conceptualisation même puisqu'il part de Gérard Dessons (voir le FA n° ) pour vérifier l'hypothèse que « le poème chez Verlaine n'est peut-être rien d'autre que le langage perçu du point de vue de l'art » (p. 35). Cela demande de critiquer la doxa sur la composition des recueils dont « l'unité est un fait de système et non de genèse » (p. 37) comme le prouve Bernadet en engageant par exemple subtilement la lecture « mobile et instable » de Romances sans paroles sur « une ligne nomade ». Mais cette manière est d'abord portée par « le continu de la voix qui chez Verlaine définit le phrasé même » (p. 50). Ce phrasé qui souvent refait bien d'autres phrasés (Baudelaire, Hugo mais aussi de Lisle, d'autres, beaucoup d'autres dans un dialogisme éthique qui ne manque pas d'humour) est à considérer d'abord par l'instanciation de la manière dans et par l'intime, lequel « ne possède aucun trait sublime mais s'impose, en revanche, à la dimension de l'infime » (p ; 68). Aussi Bernadet engage-t-il une « poétique de l'intime » chez Verlaine dans la « tension féconde » où « l'examen de soi doit pouvoir coïncider avec une sortie de soi » (p. 75). C'est pourquoi sa manière est « décalée » (p. 82) non seulement en regard de ses prédécesseurs et contemporains mais également en tant que telle : aussi « la logique du ressassement » chez Verlaine participe-t-elle « d'une variation continue » (p. 87) qui invente « une oralité inclassable » (p. 99) où culture populaire et culture savante sont neutralisées (p. 101), « le touchant e tle naïf dissimulent trop souvent la gouaille et la roublardise », en définitive « la simplicité est le lieu même de la complexité » (p. 110). Ce que Bernadet aperçoit fort judicieusement dans le traitement de l'alexandrin par Verlaine qui demande « une lecture simultanée de la mesure, en tension, l'une fondamentale, l'autre qui accompagne » (p. 117) ; bref ces 6-6 qu'on doit aussi lire 4-4-4 constituent une « stratégie critique » à la hauteur de ce que fera Apollinaire. C'est que chez Verlaine « le lyrisme désignerait ce passage et l'écoute de ce passage qui met au jour "de nouvelles puissances" (Deleuze, Critique et clinique) du sujet, grammaticales et prosodiques. Au sens où le problème de dire ne se sépare plus dans cette perspective "d'un problème de voir et d'entendre" (ibid.), ce que rappelle assez dans l'ariette II la métaphore monstrueuse de l'"'il double" et la projection floue des "voix anciennes". Mais comme le dit encore Deleuze "C'est à travers les mots, entre les mots, qu'on voit et qu'on entend"(Ibid.). Jamais dans les mots eux-mêmes » (p. 120).
    Cet « entre » demande de considérer « une infra-sémantique de la voix » (p. 121) qui met en 'uvre une « déréalisation répétée de l'instance » (p. 131) où l' « atténuation peut-être moins négative qu'instable et duplice » (p. 132). C'est que le sujet du poème est chez Verlaine souvent l'objet d'un « maniérisme du sujet ». Bernadet le suit très précisément jusque dans les « stratégies théâtrales » (p. 142) de l'écriture des Fêtes galantes. C'est que nous avons affaire à un « poète artiste » qui invente plus qu'il ne reproduit la sensation puisque « c'est l'oralité et la voix, dont le rythme est l'une des réalisations, qui font voir, sentir ou entendre » (p. 155) même si Bernadet semble ici ne pas considérer le rythme-sujet comme l'opérateur même de la voix et donc de l'oralité alors même qu'il signale significativement que « le statut de la couleur ne se réduit pas à quelques mentions lexicales. Ses valeurs dépendent toujours d'associations prosodiques (') » (p. 164).
    Mais la force du commentaire de Bernadet s'affirme quand cette poétique du mineur se fait « politique du mineur » qui « désigne très précisément ce que Verlaine appelle, avec une ironie désabusée, "le pouvoir de la poésie" » (p. 168), dont je retiendrais cette belle formule du critique : « L'agonie du sujet du pouvoir y sert la vitalité du sujet du poème » (p. 176).
    En conclusion, je retiens du Verlaine de Bernadet sa modernité, c'est-à-dire une activité qui met à vif l'historicité de nos lectures, de ce qui est plus qu'« une axiologie personnelle : le petit, l'humble, le discret, la nuance, etc. » (p. 178) en regard des discours de maîtrise, mais bien « là où minorité rime avec modernité », « le continu entre une artistique, une poétique, une éthique et une poétique » (p. 179) qui fait un poème-relation dont la force critique n'est pas seulement son passage du singulier au collectif ' ce dont témoignerait assez platement et même médiocrement le programme de l'agrégation ' mais plus certainement ce que Bernard Vargaftig écrit dans sa contribution certes lapidaire (une page !) mais peut-être la plus résonante de toutes celles que l'actualité met à notre diposition :
    Tout est là chez Verlaine, tout est présent en même temps que ça échappe comme avec : Les roses étaient toutes rouges' (')
    C'est que ce vers, ce qu'on entend, ce qu'on lit, devient geste, comme chez les plus grands. (')
    Tout est là, chez Verlaine. Son vers est l'énigme même. Evidence qui échappe, qui nous tient à distance. Est-ce pourquoi on le tient, lui, le poète, trop à distance ? Trop simple ? Trop « banal » ? Alors que cette distance est sanas aucun doute ce qu'on appelle « poésie », ouverture à l'autre, aux autres, à l'inconnu. Le geste d'ouvrir, de s'ouvrir, et le monde qui vacille : Ayant poussé la porte étroite qui chancelle'
    Chaque fois tout Verlaine, en un seul vers. Immense.

    Et je ne partage pas le ton désillusionné de Jean-Luc Steinmetz (« Sa poésie, nullement résolutoire, s'est complu à traîner un mal vivable, pas assez douloureux toutefois, comme celui de Van Gogh ou d'Artaud, pour illuminer », etc. dans Europe, p. 22) ni le ton péremptoire de Christian Prigent (« deux diamants pour cinquante charbons » ; « les diamants, c'est dans Les Fêtes galantes », etc., dans RSH, p. 207 et suivantes) qui décide de laisser là « la psycho pas chère » pour ne pas l'abandonner' Mais il suffit de lire Prigent pour entendre du Verlaine avec tous ses « charbons » (pourquoi la poésie serait-elle dans les diamants ? les avant-gardistes sont-ils comme les pires conservateurs qui ne voient de la poésie que dans « les couchers de soleil » ou dans « la lune », « cette garce »' ?). Lisez « parallèlement » (comme titre Verlaine, quel titre !!!) Commencement de Prigent (P.O.L, 1989) et Naguère de Verlaine, vous verrez que vous entendrez très distinctement du Prigent dans Verlaine et du Verlaine dans Prigent : quel est le plus moderne ?
    Aussi, Bernadet empêche-t-il de tomber dans l'éclectisme de Yann Frémy (« Au caractère pluriel de l''uvre verlainienne répond, doit répondre en effet une certaine diversité des approches critiques » dans l'introduction au numéro de RSH) car il ne s'agit pas de « trouve(r) toujours quelque chose à en dire » à moins de passer l'agrégation pour oublier ensuite Verlaine' Il oblige également à ne pas se contenter de « redonner à Verlaine la place qui devrait être la sienne dans l'histoire de la poésie française », comme l'écrit Steve Murphy dans l'introduction au numéro d'Europe (l'analyse que Murphy fait plus loin des Vers pour être calomnié où s'associent pudeur et provocation est bien plus engageante'), à moins de préparer une thèse et donc de se contenter du point de vue de l'histoire littéraire et des académismes institutionnels' Bernadet nous fait lire le poète « d'un recommencement infini » (p. 23) qu'un Boris Pasternak, traducteur de Verlaine en russe, a su merveilleusement souligner en parlant de sa « simplicité » : « Verlaine est naturel de manière imprévisible, sur-le-champ, il est naturel comme on cause, à un degré surnaturel, c'est-à-dire qu'il est simple non pour qu'on le croie, mais pour ne pas faire obstacle à la voix de la vie qui cherche à jaillir hors de lui » (Europe, p. 36).

    Pour ne pas en finir avec Verlaine, il me reste à conseiller aux préparationnaires le volume collectif coordonné et introduit par Bernadet, Verlaine, première manière (CNED et PUF, octobre 2007, 182 p. et 12 ') auquel ont participé en premier lieu Solenn Dupas dont on appréciera la mise en garde essentielle contre « les approches impressionnistes qui assimilent Verlaine à un artiste passif et purement sensitif » (p. 32), puis Bertrand Degott, Henri Scépi et Steve Murphy. On lira bien évidemment pour sa force résumante et problématisante l'introduction qui met Verlaine dans « l'aventure » d'une « manière de vivre dans le langage » sous le signe et de la pluralité et de l'instabilité cherchant toujours à « augmenter » sa « manière ». Peut-être a-t-il fallu attendre ce siècle pour saisir enfin la critique en acte par Verlaine du « progrès » dans sa vision scientiste que ce soit en littérature, en art ou en politique. À ce propos, vient juste de paraître l'ouvrage fourni de Bernadet qui, au plus près de quelques poèmes des plus significatifs au long du trajet de l''uvre, remonte ' véritable mécanisme d'horlogerie pour une bombe à retardement puisqu'on attend maintenant sa Poétique de la voix chez Verlaine ' les Politiques de Verlaine sous les deux forces, plus que figures, qui donnent le titre à la recherche de Bernadet : L'Exil et l'utopie (Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2007, 252 p., 18 '). Cet essai ne devrait pas rester confiné au cercle des verlainiens élargi temporairement par une épreuve de concours : il concerne vitalement l'écriture et donc la lecture aujourd'hui en ce que « l'impulsion critique de l''uvre » de Verlaine fait « surgir l'infime et le pluriel du sujet et du sens dans le récit dominant de l'histoire » (p. 26). Quoi de plus moderne que ce sujet du poème qui « se donne comme une instance ouvertement critique, une instance de veille » (p. 226) !

    Serge Martin

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