Est-il besoin d’en rajouter ? La promo assassine assurée par le Point[1] à un ouvrage[2] dont le projet médiatique saute aux yeux – couverture rouge, « assassins » au milieu du titre en blanc et noir, l’ Affiche rouge… – fait dans le visuel. Huit photos, huit hommes ou femmes à abattre, vite catalogués, font l’accroche. Une femme faisant la moue leur répond en page suivante. Le ton est donné dès la première ligne de l’article : « Notre école, on le sait, va mal ». La longue phrase qui suit prouve l’évidence de ce constat. Pour se terminer par une autre évidence, ce nouvel « essai au vitriol » permet, enfin, de désigner les coupables, oh désolée, « les vrais responsables du naufrage ».
Une telle désignation à la vindicte populaire des boucs émissaires d’un désastre consommé fait sourire, ce procédé grossier mérite-t-il autre chose que d’être raillé ? Sommes-nous assez crétins pour nous laisser avoir par cette « galerie de portraits […] captivante » et par la conclusion qu’en tire la journaliste du Point sur les « leçons à tirer d’urgence » ?
Mais l’AFEF[3] est citée dans un des extraits de l’ouvrage.
Nous pouvions juste faire remarquer qu’un raccourci sanglant[4] induisait en erreur. Nous renvoyions alors la journaliste et l’auteure dans les cordes en gagnant du temps.
Or, nous n’avons pas l’habitude de parler et d’écrire sans sources. Il fallait donc lire le livre, rapidement, pour comprendre l’étendue des dégâts. Nous osions espérer que l’article du Point en faisait trop. Que l’auteure de l’ouvrage, journaliste à l’Obs, aurait fait preuve d’un peu de rigueur documentaire.
Hélas non ! Après une ouverture sur sa connaissance de l’école grâce au vécu de ses enfants, elle annonce son projet de faire du français sa cible centrale, et procède, chapitre par chapitre, au dézingage de ses boucs émissaires, avec des titres dignes d’un roman de gangsters. Rien de nouveau dans les critiques, rassurez-vous : la méthode globale, le jargon, la pédagogie qui ont détruit la grammaire et l’orthographe. Et rassurez-vous aussi, les solutions existent, chez ceux que l’auteure a pris le temps de rencontrer, des gauchistes repentis sur les questions scolaires : l’éternel Brighelli ; et Joste et Boutonnet, de « Sauver les Lettres », qui cumulent avec Le Bris une proportion écrasante de références d’enseignants, les seuls trois à être nommés.
Oh, si ceux-là ont changé depuis leurs débuts, bien leur en a pris, c’est qu’ils ont compris, eux ! Quant aux chercheurs et politiques pourfendus, les « pédagogistes », quand ils infléchissent leurs positions avec le temps et les résultats de la Recherche, ils ne méritent que d’être raillés pour leurs errements grossiers. Les seules sociologues que l’auteure semble avoir lues pour appuyer son propos sont Garcia et Oller[5], citées douze fois. Ce qui ne l’empêche pas de parler d’autres chercheurs pour les dénigrer, sans sources sérieusement analysées. Et de citer l’AFEF plusieurs fois, sans avoir pris le temps de nous rencontrer. Ni même de se rendre sur le site de l’association[6] où se trouvent beaucoup des informations dont elle aurait eu besoin, notamment historiques[7].
Nous attendions mieux d’une journaliste politique de l’Obs, au moins un minimum de rigueur documentaire : entendre plusieurs voix, valider ses sources, fonder son opinion sur une recherche et non des aprioris. Une critique constructive sur certains points aurait pu faire avancer la réflexion. Mais encore faut-il prendre le temps de l’analyse et de la confrontation. Nous n’irons pas plus loin dans la présentation de cet ouvrage, ses sous-titres, ses fausses conclusions. Un conseil, ne perdez pas de temps à le lire. Oublions-le vite. Traquer les assassins des assassins… Nous avons mieux à faire pour l’école.
Viviane Youx, présidente de l’AFEF
Pour comprendre la teneur des attaques :
Lire l'article de Violaine de Montclos "Ils ont tué l'école !", Le Point 15/09/2016 en PDF
Lire aussi l'article de JP Brighelli "Les fossoyeurs de l'école démasqués", lepoint.fr 24/09/2016 en PDF
[1]Ils ont tué l’école ! Violaine de Montclos, Le Point 2297, 15 septembre 2016, p. 70-72
[2]Mais qui sont les assassins de l’école ?, Carole Barjon, Robert Laffont, 22 septembre 2016
[3]AFEF, Association française des enseignants de français, http://www.afef.org/
[4]Alain Boissinot n’a jamais pris le « contrôle » de l’AFEF, il a fait partie, de 1979 à 1982, d’un collectif de quatre personnes à la présidence.
[5]Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique. Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, Le Seuil, Sciences Humaines, 27 aout 2015