Association française pour l’enseignement du français

Appels de l'AFEF

  • 06
    Fev

    Si on parlait du français pour la réforme du bac… Des propositions de l'AFEF

    Pour le bac 2021

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    Le bac 2021 sera présenté en conseil des ministres le 14 février. Une concertation préalable est prévue, avec des acteurs du monde éducatif. Mais le besoin de parler n’attend pas, le ministre de l’éducation annonce déjà le 28 janvier sur France Inter les grandes lignes de ce futur bac. Des grandes lignes qui n’ont rien de surprenant, puisqu’elles reprennent les préconisations du rapport qui lui a été remis officiellement par Pierre Mathiot le 24 janvier. « Des choses peuvent se discuter », dit-il… lesquelles ? Et comment le ministre se désavouerait-il après avoir annoncé l’organisation générale qu’il compte défendre ? S’il avait pris l’habitude de concertations récurrentes, nous pourrions y croire. Mais sa stratégie depuis plusieurs mois privilégie la communication, et nous attendons toujours la concertation. Les médias adorent cette façon de faire, ils n’ont pas besoin de se perdre en conjectures puisque le ministre Blanquer parle. Et il parle du français, souvent, prône « une très bonne expression en français, à l‘oral comme à l’écrit, un français structuré, de qualité », c’est visiblement un de ses thèmes de prédilection, sauf pour le bac, et sans concertation avec celles et ceux qui l’enseignent.

     

    Car il est très fort, notre ministre. Sa communication est rôdée, imparable, à tel point que, même au courant, nous nous y laisserions prendre, tant le discours est empreint de bon sens !  Une nouvelle annonce par semaine, voire par jour, de manière à ce que nous ne perdions pas le rythme, et que la surprise continuelle nous maintienne dans cet état de sidération qui nous évite de penser.

    La semaine de quatre jours, rien n’est imposé, c’est la liberté de choisir quatre jours ou quatre jours et demi, les communes, les parents et les enseignants sont consultés et décident, la parole des enfants ayant là peu de valeur.

    Un conseil scientifique, parfait, de la rigueur va enfin contribuer à cette professionnalisation du métier enseignant que nous appelons de nos vœux ; sauf que la science y est réduite aux neurosciences, au grand mépris des autres sciences et de leurs chercheurs en éducation et didactique, tout ce qui ne doit probablement servir à rien pour enseigner…

    Le passé simple, mais quelle hérésie, on le supprimerait ! ce pilier de la langue française ! … écrite, et non orale, que les programmes n’ont jamais éliminé, mais remis à sa place de forme de l’écrit, même si nous pouvons regretter avec M. Blanquer qu’il ne soit plus, comme en espagnol, une forme de l’oral.

    Le « prédicat », personne n’y comprend rien, alors revenons à une terminologie connue de tous ; même si les opérations intellectuelles sont plus difficiles pour les jeunes enfants, au moins les parents et les grands-parents s’y retrouveront !

    L’orthographe, tout le monde est bien d’accord pour dire que c’est une cause nationale, ceux qui ne la maitrisent pas verront irrémédiablement leur CV mis au rebut ; alors faisons des dictées, comme si on n’en faisait pas déjà, et comme si ce mot dictée ne recouvrait pas des pratiques scolaires diverses ; si la dictée à la Pivot était la panacée pour tous, et pas seulement pour les lettrés que nous sommes, nous le saurions depuis longtemps et les jeunes Français en seraient tous les champions.

    La lecture, une autre cause nationale, alors renforçons le décodage, enfonçons le clou sur la syllabique, sauf que le déficit pointé par les enquêtes internationales chez les élèves français porte sur la compréhension, et que la focalisation déjà en place sur les lettres et les syllabes ne les aide pas à comprendre et à penser, bien au contraire.

    Et puis donnons à chaque élève les Fables de la Fontaine, dont l’intérêt est incontestable, et demandons aux acteurs associatifs d’aller lire un peu partout, c’est quand même plus simple que de réfléchir avec celles et ceux qui enseignent le français et font de la littérature leur priorité, de la maternelle à l’université.

     

    Les chiffons rouges se succèdent, s’enchevêtrent, répétés comme des mantras de manière à occuper notre esprit et à mettre en veille notre vigilance citoyenne. Le politique impose toujours à la réflexion sur l’éducation un rythme rapide, là où il faudrait prendre le temps d’une concertation approfondie qui poserait les fondements d’une École du XXIème siècle digne de notre pays. Tous les ministres s’y sont cassé les dents. Mais le ministre actuel va encore plus loin dans l’accélération du rythme qu’il impose. Il confie en janvier à Boris Cyrulnik la mission d’organiser les assises de la maternelle en mars, et depuis, plus rien (or c’est bien de mars 2018 qu’il s’agit). La concertation sur le bac doit être bouclée en deux semaines, mais inutile même d’en attendre la fin puisque les conclusions en sont déjà annoncées.

     

    Comment les citoyennes et citoyens que nous sommes, se préoccupant d’éducation, ne sentiraient-ils pas la duperie et le mépris ?

    Mépris quand nous comprenons que de concertation il n’y aura pas, alors pourquoi ne pas la supprimer directement au lieu de l’annoncer ?

    Duperie quand l’accueil réservé aux associations enseignantes varie selon leurs opinions affichées. La commission pilotée par Pierre Mathiot, chargée d’élaborer des propositions pour le bac, a consulté durant un mois un certain nombre d’acteurs de l’éducation et d’associations de spécialistes reconnues par le ministère, leur envoyant une invitation avec copie de la lettre de mission.  Pour le français-lettres, le choix a été clair, une partie des associations, orientées disons langues anciennes et lettres classiques, a reçu cette invitation officielle, au cours de laquelle aurait été décidé l’avenir. Mais pas toutes, notre association, l’AFEF, a dû insister lourdement pour se faire recevoir, dans les derniers jours, afin d’essayer d’éviter la casse annoncée : la décision déjà pratiquement actée de réduire les épreuves de français en première à leurs exercices les plus rigides.

     

    Ce n’est pas une affaire d’État, direz-vous. Du moment que d’autres ont été consultés, il peut y avoir des oublis… N’en faites pas une affaire personnelle. Du moment que les apparences de démocratie sont sauves et que l’on nous dit la vérité.

    Mais quelle vérité nous est annoncée, justement, sur le bac ? Plus que quatre épreuves, c’était l’annonce du président de la République, c’était la mission confiée à Pierre Mathiot, c’est l’annonce du ministre. Logique. Les propositions apparaissent sous forme d’un décompte, les pourcentages accordés aux « épreuves », celui accordé au contrôle continu, tout est affaire de chiffres. Le lecteur avisé se prendra à compter, à additionner les quotas annoncés pour la philosophie, le grand oral, les « deux disciplines que vous souhaitez passer en contrôle terminal », et il lui manquera 10%. Ne cherchez pas, ce sont les 10% attribués au français, lui aussi en contrôle terminal ; sauf que le terme reste fixé en classe de première, et que les épreuves anticipées de français, premier grand examen qui préoccupe les élèves, échappent à la sagacité médiatique. Nous y reviendrons à ces épreuves, écrites et orales, dont nous aimerions que le sort ne soit pas arrêté trop vite.

    Mais pour l’heure, continuons dans la logique comptable : il reste 40% en contrôle continu pour l’ensemble des disciplines qui ne seront ni obligatoires, français et philosophie, ni choisies pour le contrôle terminal. Quel est le but de cette présentation comptable ? Peut-elle donner l’ébauche d’un tronc commun, de ce dont tous les jeunes ont besoin pour réussir leur vie personnelle, professionnelle, citoyenne ?

    Prenons-nous à rêver d’un tronc commun de culture générale, à la fois scientifique, technologique, économique, sociale, artistique… apte à « compenser » les inégalités. C’était le projet initial de la « réforme des rythmes scolaires », compenser les inégalités familiales par une offre publique de pratiques culturelles. C’est toujours le projet de l’École républicaine de compenser les inégalités familiales et sociales par l’accès au savoir.

    Alors, si nous restons dans les chiffres, combien faut-il de temps à nos jeunes lycéens pour s’initier à l’économie, indispensable à leur avenir social, citoyen et professionnel ? combien de temps pour parfaire leurs connaissances en géographie et en histoire, autre passion nationale que l’École ne saurait négliger à une époque où la lutte contre les « fake news » devient une cause internationale ? combien de temps pour mettre en cohérence leurs connaissances éparses en technologies numériques, dont l’École s’empare encore timidement, laissant les fabricants inonder les établissements scolaires sans recul sur les usages des matériels imposés ? combien de temps pour comprendre le fonctionnement de leur corps et de la planète, si nous ne voulons pas que l’écologie soit un vain mot ?

    Une logique comptable peut-elle seule rendre compte de ces « attendus » culturels ? Dans le dernier roman de Delphine de Vigan, Les Loyautés, une enseignante, par son attention, sa capacité émotionnelle, et son enseignement, les sciences de la vie et de la terre, sauve la vie d’un élève qui n’écoute rien en classe, sauf ce qu’elle dit sur le corps et la digestion. La littérature nous parle là de ce qui fait la qualité de la relation enseignante, non quantifiable, mais aussi du savoir enseigné. La littérature nous parle plus généralement de ce qui façonne l’humain, et n’est pas chiffrable.

     

    Mais il faut bien des chiffres, des temps à répartir entre savoirs essentiels. Alors utilisons ces chiffres pour ne laisser de côté, dans le calcul, aucun des ingrédients indispensables à une culture vraiment générale. Et pour le français, dont chacun s’accorde à noter le rôle primordial dans cette culture, reprenons les mots du ministre, pour voir que, si nous le suivons bien, nous devrions être d’accord sur bien des points. Il affirme être un homme d’arguments, qui pèse le pour et le contre et écoute. Alors, sans préjuger de son soutien à nos conclusions et préconisations, il s’honorerait à engager une concertation autour de propositions différentes et innovantes.

     

    Nous partageons un même attachement à la littérature, au langage, au français. Ainsi que son choix de valoriser l’oral : une des avancées majeures des derniers programmes de français de l’école primaire et du collège. Et le Grand Oral proposé par Pierre Mathiot devrait amener à reconsidérer l’oral des épreuves anticipées de français, en première, pour en faire une véritable épreuve orale, portant sur des savoir-faire et savoirs acquis, et non sur des fiches apprises par cœur et resservies quelle que soit la question posée. Non que nous méprisions le par cœur, mais il nous semble plus approprié pour mémoriser le mot-à-mot des textes littéraires que celui de nos cours qui, s’ils sont passionnants, n’en ont pas la qualité ! Nous proposons que cet oral permette différents parcours, des projets collaboratifs, avec des outils numériques, du travail en réseau, portant sur un exigeant programme national d’œuvres classiques et contemporaines, francophones et mondiales ; la préparation de l’oral de français de première pourrait être une propédeutique du Grand Oral, entrainant les élèves à développer un projet, à travailler ensemble, à utiliser des outils numériques, et à argumenter sur des choix littéraires.

    Car la littérature est au cœur de l’enseignement du français, et nous tenons à réaffirmer son importance pour le lycée. C’est pourquoi nous demandons aussi une révision des épreuves écrites. Le rapport Mathiot en préconise le resserrement, ce qui nous parait essentiel, un grand nombre d’épreuves implique des temps de préparation lourds, et nous préfèrerions que ces temps soient disponibles pour travailler la littérature, la langue et le langage. Mais, au-delà du nombre, la question à poser est celle du type d’épreuves, et surtout des savoirs et savoir-faire visés.

    De quoi nos jeunes ont-ils besoin ?

    De savoir lire, et par la lecture littéraire de se comprendre et de comprendre les autres, de faire des choix personnels, hiérarchiser les valeurs, vivre par la fiction des émotions moins dangereuses que dans la vraie vie. Cette lecture littéraire indispensable suppose d’être abondante, elle demande de lire beaucoup, pas pour faire des fiches mais pour apprendre à penser. Elle impose de se constituer un fonds commun d’œuvres essentielles, classiques et contemporaines, françaises et mondiales.

    De savoir écrire, et cela suppose que les élèves aient de nombreuses occasions d’écrire, dans des situations variées, et d’écrire des choses qui aient du sens pour eux. Ils ont besoin d’apprendre à synthétiser, une des opérations intellectuelles indispensables à leur poursuite d’études et à leur vie professionnelle, et qui a été trop négligée dans les épreuves de français. Ils ont besoin d’apprendre à argumenter, et les corpus littéraires qui leur sont proposés auront plus de sens s’ils peuvent prendre des positions, justifier des choix, plutôt que de gloser sur un des textes, ce qu’ils ont tant de mal à faire de manière pertinente. Ils ont besoin d’apprendre à organiser leur pensée et structurer leur écriture, selon une logique qu’ils retrouveront dans d’autres disciplines. Ils ont besoin de savoir imaginer, inventer, s’essayer à une écriture littéraire qui va leur donner une aptitude à choisir les mots, figures de style et tournures grammaticales propres à leur conférer un style d’écriture, et qui en développant d’autres zones cérébrales va ouvrir leurs capacités à innover.

    C’est pourquoi nous proposons que les épreuves écrites de français soient ré-imaginées autour de ces trois formes d’écriture : de synthèse, argumentative et littéraire, dans deux exercices qui combineraient chacun au moins deux de ces formes d’écriture. Ils sont à inventer. Mais sortir des exercices canoniques habituels aidera les élèves à ré-enchanter leurs capacités d’écriture.

     

    Ce sont notre pragmatisme et notre bon sens qui nous guident dans nos choix, parce que nous connaissons nos élèves, leurs besoins, ce qu’ils sont capables d’écrire, de dire, quand nous savons créer les conditions de leur réussite. Nous demandons que notre association soit écoutée, que nos arguments soient entendus, c’est le fondement de la démocratie. Si nous voulons « compenser les inégalités sociales par un très bon français oral et écrit », il y a urgence à ce que les discussions sur le bac 2021 ne laissent pas de côté le français. Si notre priorité est que les élèves apprennent à penser, critiquer, évaluer, innover, quels moyens leur donnons-nous ? Les propositions de l’AFEF pour les épreuves écrite et orale de français s’appuient sur une consultation de nos collègues qui demandent des programmes et des épreuves qui leur permettent d’accorder leur enseignement avec cette priorité. Et, au-delà de notre discipline qui restera centrale, c’est une idée de l’École que nous portons, une École qui apprend à être libre grâce à la culture générale et au langage. Les mots ont un sens, ils ne peuvent pas être employés pour dire une chose et son contraire. La concertation c’est agir dans un but commun ; c’est écouter des points de vue contradictoires, décider après réflexion, dans le respect des arguments autorisés par la connaissance des professionnels. Dans ce cadre, le mot autorité a un sens.

     

    Viviane YOUX, présidente de l’AFEF 

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