Association française pour l’enseignement du français

Primaire

  • 03
    Avr

    Si l’on ne sait pas où l‘on va, on a toutes les chances de se retrouver ailleurs, de Gérard Malbosc

    REFLEXIONS POUR UNE REFONTE DES PROGRAMMES DE FRANÇAIS

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    "Si l’on ne sait pas où l‘on va, on a toutes les chances de se retrouver ailleurs"

    R.F.Mager

    REFLEXIONS POUR UNE REFONTE DES PROGRAMMES DE FRANÇAIS

     

    Chacun sait, à l’AFEF, et quelquefois depuis des décennies, que les programmes de français sont des programmes d’orthographe et de grammaire ; que ladite grammaire est une grammaire entomologique, même si elle l’est moins maintenant qu’il y a cinquante ans ; que les difficultés des élèves et la manière de les appréhender (ces difficultés) n’y sont pas abordées ; que la littérature est revenue à une place telle qu’il n’y en a n’a plus guère pour d’autres textes, que l’on appellera sociaux pour aller vite ; que tout ceci porte à ne pas suffisamment développer les compétences langagières des élèves ; et que même leurs compétences linguistiques (orthographe et grammaire) ne s’améliorent pas ; que l’échec scolaire est intimement lié à une « maitrise » de la langue ne correspondant pas à ce que l’école attend ; que la violence physique est parfois la traduction d’une incapacité à s’exprimer…

    Ces difficultés, ces obstacles, ces fossilisations perdurent. Pourquoi ? Comment agir ?

     

    A – Les éléments du problème

    1-     Les programmes :

    1.1.        il faudrait revenir à une présentation par cycle, lesquels pourraient être (en se calant sur les structures de l’école : maternelle/élémentaire) : cycle 1 : maternelle ; cycle 2 : CP et CE1 ; cycle 3 : CE2, CM1 et CM2 ; ou bien C2 : CP, CE1 et CE2 ; C3 : CM 1, CM 2, 6ème. Ma préférence va à cette dernière version, pour des raisons d’étalement de certains éléments au cycle 2 et de capacités cognitives des élèves.

    1.2.        Nous devons, en tant qu’enseignants, inspecteurs, formateurs, assurer l’acquisition de la norme par les élèves. Des éléments de grammaire et d’orthographe sont donc nécessaires. Qu’il conviendrait de bien définir, et préciser. Le métalangage à utiliser doit lui aussi être précisé. Pour les éléments non inclus dans le programme mais immanquablement rencontrés en classe (le passif, le passé simple, etc..) il conviendra de proposer aux maitres des activités centrées sur la compréhension des phénomènes (« actant vs subissant » ; temps du passé et accompli/non accompli) et des productions.

    1.3.        La syntaxe est « oubliée » dans les textes officiels. Ainsi, la note DEPP 13.35 de décembre 2013 portant sur « Grammaire, orthographe, lexique : quelles pratiques en collège et au CM2? » ne porte aucunement sur la syntaxe et sa nécessaire complexification progressive au fil des années et des situations. C’est normal, puisqu’il n’y a rien dans les programmes à ce sujet (ce qui n’empêche pas l’IGEN dans ses rapports sur la mise en œuvre des programmes de 2008 au primaire ou de français au collège de le fustiger). Mais c’est justement  ce qu’il faudrait parvenir à modifier. On y reviendra.

    1.4.        Considérer la langue comme outil et non seulement comme objet d’enseignement implique de réfléchir à son utilisation dans les autres disciplines et en français même, dans les diverses activités de la classe (voir ci-dessous également).

    1.5.        Enfin, les situations de communication et les situations d’énonciation doivent être précisées pour les enseignants, de façon à rendre leurs élèves capables d’adopter un comportement langagier adapté à la situation dans laquelle ils se trouvent, situations scolaires comprises car les élèves qui ne les comprennent pas ne savent pas comment réagir et cela participe à leurs difficultés, voire leur échec.

     

    2.      Les manuels et les pratiques :

    Nous savons tous également, parfois pour le déplorer, que les enseignants ne se servent que peu des manuels (surtout, au primaire, en histoire, géographie et sciences ; en maths l’utilisation est souvent centrée sur les exercices proposés, non sur les « leçons »).

    Le fait que tel manuel de lecture soit utilisé dans une classe ne dit rien de la manière dont il l‘est. Ni de la manière dont l’enseignant-e opère dans d’autres séances que celles de lecture, qui vont pourtant contribuer à fixer chez les enfants des manières de déchiffrer/lire/comprendre… L’existence en soi de tel ou tel manuel ne dit donc rien de ce qui peut se passer en classe ni, encore moins, des effets sur les élèves. C’est toutefois une dimension qu’il convient d’interroger.

    Concernant la lecture en particulier, certaines pratiques se maintiennent  alors que les enseignants ont décidé de changer de manuel. Pourquoi changer ? Pourquoi rester centré sur certaines pratiques, même si le manuel en préconise d’autres ? Le manuel est-il un prescripteur légitime ? Il n’est manifestement pas perçu comme tel, puisqu’on se détache de ses recommandations. Qui prescrit, alors ?

    Concernant les autres disciplines, savoir utiliser un manuel et même quelque livre que ce soit et quelque source documentaire que ce soit doit être un objectif de l‘école.

    Il convient donc que les programmes incluent cette dimension.

     

    3.      La formation :

    Tout ceci entraine à réviser la formation initiale et continue, profondément. Ce sont les deux parents pauvres du système, et ce depuis longtemps, même s’il y a eu de la variation dans ce domaine. À la fois la durée de la formation et son contenu doivent être repensés. Beaucoup de formules de durée sont possibles, 5 ans comme au Québec ou à Genève, ou bien avec une entrée dans la pratique accompagnée par un professeur-formateur durant un an ou deux (comme en Allemagne) avec un nombre d’heures à enseigner inférieur à celui prévu par le statut. Beaucoup de formules sont envisageables, mais un point demeure : il faut davantage de formation.

    Les contenus sont à reprendre également. Les sciences du langage doivent y prendre davantage de place, y compris une réflexion épistémologique sur elles-mêmes.

    Mais c’est un vaste, trop vaste sujet. Il demande beaucoup de réflexions, de confrontations, de remue-méninges, de propositions….

     

    4.      Les structures :

    École moyenne ? Collège partagé en deux entre primaire et lycée ? Deux premières années de collège organisées différemment avec des professeurs bivalents ? Des professeurs bivalents dans les quatre classes du collège ?

    Les études internationales (PISA ou Conseil de l’Europe) montrent que quelles que soient les structures, les mêmes élèves réussissent toujours, les mêmes élèves échouent toujours.

    Si nous parvenons à faire évoluer favorablement le point 1 et le point 3 ci-dessus, le 2 suivra et le 4 ne se posera plus, en tout cas plus avec la même acuité.

     

    Une mention particulière doit cependant être réservée pour le dispositif « un maitre de plus que de classe » (voir ci-dessous) même si ce dispositif ne saurait correspondre à toutes les classes. Mais nous pourrions proposer des alternatives sur le temps de service ordinaire (ou HS) des enseignants.

     

    B - Contenus de programmes

    Ils doivent préciser où l’on va, c‘est-à-dire ce que l’on attend d’un élève à la fin de tel cycle en termes de compétences, compétences langagières et linguistique incluses. Qu’il convient  donc de définir.

    En plus des points concernant l’acquisition de la norme (au primaire : les accords sujet-verbe, masculin/féminin et singuliers/pluriel doivent être compris par les élèves même s’ils  ne sont pas automatisés pour tous  ; certaines conjugaisons), la difficulté, on l’a dit, vient de la nécessaire complexification progressive de la syntaxe, en production et en réception.

    Des référentiels doivent être produits par cycle : quelles structures syntaxiques doivent être maitrisées par les élèves de cycle 1, de cycle 2 et de cycle 3 ?

    Comme il ne s’agit pas – surtout pas ! – de faire apprendre des listes ni que les enseignants soient fixés sur « la ligne bleue » des listes à travailler, il convient que ces structures soient travaillées en situation, là où elles sont efficaces, utiles, nécessaires.

    Un exemple : une activité de tri en maternelle. Les enfants ont dû dessiner, après l’avoir effectué, le parcours de motricité. Un atelier doit trier les dessins selon qu’ils correspondent ou non au parcours et dire à la maitresse ensuite les raisons des choix. Pour justifier, on utilise parce que. Ou pas. La maitresse, centrée sur l’exactitude du choix, ne peut être attentive en même temps à la production orale des enfants, encore moins parvenir à prendre des notes s’il y est attentive malgré tout. Le maitre de plus, oui. Et si certains enfants n’utilisent pas parce que (« c’est pas bon, il a pas mis ça »), il faudra retravailler ce point. Et quelle situation peut le mieux permettre cette utilisation qu’une activité de tri pour laquelle il faut justifier ?

    Les programmes devraient donc comprendre des référentiels de structures par cycle, d’une part et, d’autre part, des tableaux de correspondances entre activités de classe (d’autres exemples : expliquer un phénomène en sciences ; expliquer un résultat ; écrire une règle ou un mode d’emploi ; faire un compte rendu de visite, d’expérience, de réunion ; participer à un débat…) , fonctions langagières (justifier, nommer, expliquer, concéder, argumenter, exprimer son accord ou son désaccord, etc.) et les structures syntaxiques correspondantes par cycle, ainsi que l’on pourra en voir quelques unes dans le tableau ci-joint.


    Un autre exemple : le travail sur les hyperonymes doit entrainer un travail sur les critères de différenciation et de ressemblance des objets dénommés (par ex. siège par rapport à chaise/fauteuil/tabouret etc.). C’est important pour la compréhension du lexique et son utilisation, c’est important aussi pour les études en sciences puisque la classification du vivant procède de cette manière.

    Au CE1 : Qu’est-ce qu’un oiseau ?

    ça vole, ça a des plumes, ça a deux pattes, un becetc.

    L’enseignant-e montre des photos de différents oiseaux dont une autruche. Elle ne vole pas. « Parce qu’elle est trop grosse » propose un élève. On montre un aigle…etc.

    Petit à petit, les élèves vont être amenés à dire pourquoi certains volent et d‘autres pas. L’expression à utiliser sera grâce à. On pourra également faire utiliser permettre de. : ses grandes pattes permettent de courir vite ; ses petites ailes ouses ailes trop petites ne lui permettent pas de voler. Ou bien interdire de.

    Dans quelle(s) autre(s) activités de classe, dans quel autre domaine, ces structures pourraient-elles être de nouveau utilisées ? Ceci reste à développer !

    Mais il est certain qu’en première utilisation, une activité de ce type est beaucoup plus appropriée qu’une « leçon  de français ». Le maitre du primaire a la chance de pouvoir tout faire. Encore faut-il qu’on lui donne réellement les moyens de se poser les bonnes questions et de trouver les bonnes réponses.
     

    Devraient être inclus évidemment dans ces programmes des éléments sur le lexique et sur le travail du lexique, sur les structures de textes (ou de discours ; il faudrait trouver le terme le plus approprié sans ambigüité, pour tous les types de messages). La mise en situation de la syntaxe devrait également s’accompagner des éléments de collocation nécessaires, en particulier dans les diverses disciplines, ce qui appelle également un  gros travail de recherche et de réflexion (par exemple : le sang circule dans les vaisseaux sanguins et noncoule ; avec un travail d’explicitation des verbes lié au concept lui-même. Si ce travail n’est pas fait, le concept risque d’être mal compris, voire dénaturé).

     

    Il faut bien finir…

    a) Concernant les programmes de collège, il faudrait assurer – réellement, pas comme à l’heure actuelle où tout tentative pour montrer une continuité primaire secondaire est vraiment capilotractée ! (c’est du vécu !) – assurer donc la continuité, pour que les élèves n’aient pas le sentiment de « faire » plusieurs fois la même chose. Si nous parvenons à centrer les propositions sur les besoins des élèves, en partant des élèves, nous parviendrons sans doute mieux à éviter ces écueils.

    En d’autres termes, plus imagés : ils ont le sentiment de tirer des bords carrés (louvoyer en revenant au même point bord après bord). Cela peut être dû à l’équipage du voilier ou au voilier ou aux deux ou à un courant contraire. Il faut donc améliorer les compétences de l’équipage et les performances du voilier, ici l’institution, et faire en sorte qu’il n‘y ait pas de courant contraire (des mauvaises notes par exemple en guise d’évaluation !).

    b) L’apprentissage de la lecture mérite d’être davantage interrogé. Mais en se gardant d’inférer des pratiques à partir de l‘utilisation d’un manuel. Les pratiques suivies et activités menées peuvent être très diverses, et pas nécessairement cohérentes d’ailleurs. Ce souci de cohérence doit être un objet de recherche et de formation.

    c) Les diverses situations d’activités doivent permettre également toutes sortes de pratiques d’oral et décrit. Là encore, le tableau est à compléter.

    d) La place et le rôle de la littérature doivent être redéfinis, mais en tenant compte du fait que beaucoup de collègues du secondaire ont du mal à comprendre que l’on veuille introduire d’autres types de textes (au sens large, quels que soient les supports). S’il faut interroger ces réticences, voire oppositions,  force est de le constater. Nous parviendrons certainement mieux à redéfinir cette place que nous permettrons aussi qu’émergent d’autres pratiques permettant de meilleures performances et compétences des élèves.

    e) Enfin, cette notion de compétence est omniprésente et essentielle dans cette approche, même si le mot est peu utilisé ici. Il s’agit bien de viser à améliorer les compétences des élèves. Le cadre européen commun de référence pour les langues et la plateforme sur les langues de scolarisation du Conseil de l’Europe (les trois documents pour l’histoire, les sciences et les mathématiques) peuvent grandement nous y aider.

     

    Gérard Malbosc

    31 mars 2014

     

    Annexe : Extrait d’un tableau de correspondances entre activités de classe, fonctions langagières et structures syntaxiques.

     

    Activités

    Fonctions langagières

    Moyens langagiers

     

     

     

    Cycle 2

    Cycle 3

    Discussion / explication d’un phénomène

    Donner une explication de cause à effet

    Permettre de ; grâce à ; interdire de ; parce que

    A l’aide de ; au moyen de ;

    Comme il n’a pas…il ne peut pas

    Compte rendu d’expérience

    Décrire,  résumer,

     formuler des hypothèses, établir les relations de cause et conséquence,

     

    On prend / a pris(présent puis pc).

    Phrases sans complexité ;

    V avec compl. Ind. (servir à ; permettre de ; c’est dû à)

    V avec complétive (montrer que ; affirmer que ; )

    Gérondif : en mettant la plante dans l’armoire…

     V de Vinf : la plante cesse de grandir

    Comparaisons (plus, autant..)

    Comparaison de grandeurs

    Utilisation du conditionnel (sans apprentissage de la conjugaison)

    Formulation de l’hypothèse : si on (fait)…, (il se passe)

    Pour Vinf,

    Et (coordination de compléments, de propositions

    Qui et que relatifs

    Ex : ; la quantité d’air qui est dans la bouteille / que j'ai soufflée dans la bouteille…)

    Même chose avec Rel enchâssée (ex : la quantité d‘air qui est dans la bouteille permet de mesurer…

    Compl de l’adj : l’oxygène contenu dans l’air inspiré/ le gaz carbonique présent dans l’air expiré.

     Passif : ce phénomène est produit par…

    Vpronom de sens passif : ce phénomène se remarque par…/ se manifeste quand…

    Déictiques

    Formulation de l’hypothèse : si…alors

    Compte-rendu de visite

    Décrire, expliquer, résumer

    Expression du déroulement chronologique : Prép : pendant, depuis, avant, après, en, à

    Utilisation du pc

    Gérondif : en passant devant…nous avons vu

    Expression de la durée

    Déictiques simples (ici, maintenant…)

    Expression du déroulement chronologique : Prép : durant, pour (il faut finir pour demain)

    Adv : à l’occasion, par périodes, sur le champ

    Les temps du passé

    Déictiques plus complexes

     

    Compte rendu de lecture

    Décrire, résumer,

    Donner son avis, son opinion, expliquer

    J’aime / je n’aime pas parce que…

    Je préfère

    J’aime bien quand…

    Je suis sensible à…

    J’apprécie…

     

1 Commentaire

  • ZARKA

    14 Avr 2014 à 12:06

    Article très intéressant et très complet. Merci à Gérard Malbosc.
    Toutefois, un petit commentaire sur l'un des points abordés, certes non au coeur de l'article : celui de la formation des maîtres. G. Malbosc réclame "davantage de formation" . Je préfère pour ma part poser la question : quelle formation ? Car si c'est pour faire plus de la même, je crains que nous n'allions au devant des mêmes déconvenues que par le passé. Or, pour répondre à la question "quelle formation des maîtres ?", encore faut-il qu'on s'entende au préalable sur le métier d'enseignant, et donc encore avant sur ce que la Nation veut que l'on transmette aux jeunes générations. Un vaste débat donc.
    Sans pouvoir le développer ici, je partage avec G. Malbosc l'espoir - si les coupes budgétaires annoncées ne les fassent passer aux oubliettes - que la création des professeurs formateurs académiques engagent le second degré vers une approche nouvelle de la formation qui passe par l'accompagnement, tant dans la formation initiale que dans la formation continuée. Selon moi, c'est tout le modèle pédagogique et économique de la formation des maîtres qu'il faut réviser.
    Yves Zarka

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