Rapport de l'AFEF au Conseil Supérieur des Programmes
Projets de programmes de français
Ce rapport se focalise d'abord sur les programmes de français, mais ces programmes ne peuvent se lire seuls, des liens seront faits avec les autres disciplines et l'interdisciplinarité. Et, après l'analyse des projets de programmes de français, une partie sera consacrée aux programmes dans leur ensemble, avec des recommandations sur les langages des disciplines et l'interdisciplinarité.
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Introduction
Les programmes de français dont le projet est soumis à notre analyse s'inscrivent dans une démarche curriculaire, centrée sur l'activité de l'élève et la construction de son cursus, dans une approche de développement de compétences dans les différents champs de la discipline français, et en réponse aux cinq grands domaines du Socle commun. Démarche que nous approuvons et dont nous nous félicitons. Les remarques et observations qui vont suivre ont pour but d’attirer l’attention sur divers points qui devraient être repris ou réécrits et plus généralement pour faciliter la lecture, la compréhension des programmes présentés.
Le cadre général retenu s'appuie sur les activités langagières en production et réception, à l'oral et à l'écrit, et propose d'étudier la langue pour développer ces activités langagières en installant une posture métalinguistique. La démarche est clairement expliquée dans les projets des cycles 2 et 3, ainsi que la progressivité d'un cycle à l'autre.
Entre les cycles 3 et 4, par contre, une rupture s'établit, tant dans l'explicitation des finalités et modalités, que dans l'énoncé de repères de progressivité. Au cycle 4, le préambule nous semble devoir être revu dans les directions suivantes :
- annoncer clairement les enjeux de l'enseignement du français au collège en les distinguant des modalités et orientations à donner aux pratiques de classes ;
- distinguer les activités langagières (à l'oral, en écriture, en lecture) de l'étude de la langue ;
- fixer un niveau d'exigence culturelle et littéraire plus précis, afin de préparer au mieux les jeunes adolescents de cette classe d'âge à se construire, se comprendre, et s'insérer dans la vie sociale et professionnelle.
En indiquant la continuité avec les acquis du cycle 3, le préambule devrait clarifier en quoi le programme permet aux élèves de franchir une étape supérieure, et les raisons pour lesquelles il est important de demander aux élèves de douze à quinze ans de parler et d'écrire pour penser, comprendre, débattre, développer leur sensibilité et se former une culture qui donne sens à leurs jugements et opinions.
Et à l'intérieur même du cycle, il pourrait fixer des étapes de progression dans leur maitrise des langages et des cultures, pour tenir compte des importantes évolutions individuelles et collectives durant cette classe d'âge.
Ces amendements imposent, non seulement une nouvelle rédaction du préambule du cycle 4, mais une analyse plus précise du contenu du projet de programme afin qu'il respecte ces exigences de progressivité et une ambition culturelle digne des élèves de collège.
D'une manière générale, les programmes gagneraient à clarifier leurs référents théoriques afin d'éviter la confusion et l'évidence de termes pris dans un sens et un contexte trop généraux.
Deux remarques supplémentaires sur l'ensemble des programmes. L'AFEF s'étonne qu'aucune référence ne soit faite à l'orthographe rectifiée, alors qu'elle était présentée comme la référence dans les programmes de l'école et du collège en 2008. Elle s'étonne aussi d'une très faible référence à la francophonie, tant langagière que culturelle.
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Plan du rapport de l'AFEF sur les projets de programmes
- tableau "Extraits des éléments de proposition de l'AFEF", présentant de manière synthétique nos principaux points d'analyse (version PDF)
- développement de l'analyse de projets de programmes de français des trois cycles.
- insertion des programmes de français dans l'ensemble des programmes, avec des recommandations touchant les langages des disciplines et l'interdisciplinarité.
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Les projets de programmes de français des trois cycles
Présentation
Dans la démarche curriculaire choisie pour les cycles 2-3-4 (qui passe de la logique de programme à appliquer, avec des listes de contenus à transmettre, à celle de curriculum indicatif, centré sur les compétences que les élèves doivent développer et les savoirs qu'ils doivent acquérir) le choix de commencer par l'oral dans les trois cycles vise à redonner sa juste place à un domaine d'activités langagières trop souvent négligé dans les pratiques de classe. Parent pauvre des programmes précédents, l’oral comme objet d’apprentissage et comme pratiques langagières pour penser, apprendre et se construire ensemble, demande des changements très importants dans les gestes professionnels des enseignants. Le choix de continuer par l'écriture poursuit cette logique, et permet de réintroduire dans la classe l’habitude d’écrire régulièrement, beaucoup et souvent.
On peut regretter cependant un certain manque de cohérence dans la rédaction des programmes des trois cycles, notamment dans le vocabulaire utilisé. L'ensemble gagnerait à être revu par une équipe de rédacteurs commune.
Cycle 2
Le préambule situe bien le programme de ce cycle par rapport à celui de la maternelle en pointant les acquis, les compétences à consolider, et les apprentissages à mettre en place. Par contre, il est surtout centré sur les activités et compétences, et n'aborde pas vraiment les enjeux des apprentissages en français pour les élèves.
Les trois premières activités : langage oral, lecture et écriture, écriture, sont longuement explicitées avant la mise en tableaux.
Dans la partie Langage oral, le terme de "maitrise" employé au début nous pose problème Il faudrait souligner que le modèle d'oral élaboré qui est présenté est à mettre en place progressivement, à partir de situations d'oral ordinaires, et non proposé d'emblée sous une forme proche de l'écrit oralisé. Le dernier paragraphe insiste bien sur les différences entre langue orale et langue écrite, mais "la dictée à l'adulte" y a-t-elle sa place ? Si elle permet de distinguer l'oral de l'écrit dans l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, qu'apporte-t-elle spécifiquement pour l'oral dans cette partie ?
La partie Lecture et écriture met bien en avant les enjeux de ces apprentissages, en particulier la lecture des textes. Elle développe clairement les apprentissages nécessaires à l'entrée dans la compréhension des textes écrits, qui passe par la compréhension de textes entendus. Il faudrait peut-être souligner qu'elle ne se réduit pas à cela. Par contre, la partie consacrée à l'identification des mots évoque massivement la conscience phonologique, au détriment des autres voies empruntées par les élèves, et c'est regrettable pour les élèves qui ont du mal à entrer dans l'écrit.
La partie Étude de la langue, qui ne bénéficie pas d'une présentation aussi développée, se situe dans une démarche d'observation, acquisition, réflexivité. Les repères de progressivité sont très détaillés et très précis. Une remarque cependant sur ce dernier tableau, dans la ligne "Orthographier les formes verbales…" la présentation de l'étude des homophones un peu rapide peut prêter à confusion.
Chaque tableau se termine par une prise en compte des langages des disciplines, sous l'intitulé "Ces compétences dans d'autres enseignements", et cette dimension est très importante à retenir, et devrait s'inscrire dans les trois cycles, avec plus de précision sur ce qui est attendu.
Cycle 3
Le préambule du cycle 3 est clair quant aux finalités de l'enseignement du français, commençant par les enjeux sociaux et personnels, il insiste sur "l'appropriation des usages du langage dans tous les domaines", et explicite ensuite très précisément le champ du français : il "articule des activités langagières de compréhension et de production à l'oral comme à l'écrit", complétées par des "activités plus spécifiques dédiées à l'étude de la langue", et une "approche plus réflexive des textes littéraires qui vise à développer des compétences d'interprétation".
Le préambule précise ensuite la continuité avec le cycle 2 et le niveau plus élevé d'exigence du cycle 3 (situations plus complexes en lecture et production d'écrit – projets d'écriture – posture métalinguistique). Il se termine par une ébauche d'évaluation de la répartition temporelle des principales entrées.
Chaque tableau est moins explicité qu'au cycle 2, mais les référents théoriques sont clairs, sauf dans la partie Écriture qui mériterait d'être éclairée. Le chapeau qui décrit le travail d'écriture (planifier, mettre en mots, rédiger, réviser) semble réduire l'activité d'écriture au modèle de la planification (Hayes et Flowers), alors que dans le tableau qui suit, le modèle des écrits intermédiaires (Bucheton – Chabanne) est explicité, sans avoir été cité dans le chapeau.
Le chapeau de la dernière partie insiste bien sur la réflexivité dans l'étude de la langue, et sur le fait qu'elle est au service des activités langagières. Le tableau précise les grands domaines à travailler durant cette période, et uniformise la terminologie (mais est-ce bien la même qu'aux cycles 2 et 4 ?). Les repères de progressivité sont peut-être un peu trop simples, si c'est dans le but d'éviter la reproduction systématique d'une progression toute faite, la précision devrait en être donnée.
Les quatre tableaux se terminent par des "croisements interdisciplinaires" qui, dits sous une autre forme, renvoient aux langages des disciplines. Précision éclairante, mais insuffisante si on ne précise pas les compétences attendues en langue et langages, dans les différentes activités (oral, écrit, réception, production, interaction) et situations de communication, en indiquant une progressivité.
Enfin, on peut regretter que rien ne soit dit, à l'intérieur de ce programme du cycle 3 qui se trouve à cheval sur l'école et le collège, de la manière dont va se gérer cette charnière, à la fois pour les élèves qui changent de structure d'établissement, et pour les enseignants qui relèvent de statuts et corps différents, pour ne pas parler de l'organisation des enseignements.
Rien n'est dit non plus de la diversité des élèves. Certains, très à l'aise avec la fluidité de lecture et la compréhension, peuvent développer des stratégies de lecture qui leur permettent de comprendre et traiter différents textes, littéraires, documentaires, ou sociaux. Mais que prévoient les programmes pour le pourcentage important d'élèves de onze ans qui, ne sachant pas déchiffrer avec fluidité, et encore moins comprendre, ne peuvent satisfaire aux objectifs, et risquent de terminer le cycle 3 sans l'aisance de lecture indispensable à la poursuite de leurs études ? Renvoyer cette question vers l'accompagnement personnalisé ne suffit pas ; pour que le dispositif soit efficace, il convient de fixer des objectifs réalistes et de proposer des alternatives dans le programme pour répondre aux besoins de ces élèves.
Cycle 4
Le projet du cycle 4, comme nous l'avons dit dans l'introduction, mérite une analyse plus approfondie. Ce cycle, qui couvre l'essentiel du collège et marque la fin de la scolarité obligatoire, nécessite des apports spécifiques au plan langagier et culturel pour outiller les jeunes adolescents qui vont s'ouvrir au monde, aux autres, et à la citoyenneté. Ces finalités de réussite tant personnelle que collective constituent des enjeux fondamentaux que l'enseignement du français au collège doit affirmer. Au plan langagier, le collège doit les outiller, tant à l'oral qu'à l'écrit, avec toutes les ressources et médias, dont le numérique.
Réaliste, ce programme de cycle 4 doit aussi être ambitieux, les élèves ont besoin de savoirs et de fondements culturels qui leur permettent de donner du sens et de la consistance à leurs jugements et prises de position. Les activités langagières de ce cycle supposent de savoir exprimer ses sensations, formuler un avis, débattre, interagir, ce qui nécessite non seulement des compétences langagières et linguistiques, mais aussi des compétences culturelles et littéraires, avec les connaissances qu'elles contiennent.
Propositions pour le Préambule du cycle 4
Il comprendrait trois parties : les finalités, les modalités, les orientations.
Les finalités spécifiques au français : 4 enjeux interactifs
- La dimension réflexive et anthropologique du langage : parler et écrire pour penser et comprendre, ce qui implique des changements profonds des tâches, de l'évaluation, de la relation oral – écrit
- La dimension communicationnelle du langage avec des enjeux élargis par rapport au cycle 3 en ajoutant une dimension sociale et citoyenne, notamment avec l'éducation aux médias (EMI) et les usages du numérique
- La dimension du sujet en construction : dimension culturelle (questionner le monde par les textes et pratiques langagières) – psychoaffective (sensibilité – écriture créative pour fonder une lecture sensible – oral, mise en voix) – esthétique
- dimension collective : parler, écouter, interagir, collaborer, coopérer, lire ensemble, écrire ensemble
Ces enjeux impliquent:
o de formuler une ambition pour les élèves : leur demander plus, les faire écrire, leur faire confiance, les étayer, les outiller ;
o de former les enseignants pour développer des gestes professionnels et de les accompagner pour faire face à des modifications profondes.
Modalités
- La séquence : une forme d'organisation privilégiée mais pas exclusive. Elle est intéressante comme support de projets qui donnent du sens aux enseignements. Elle permet une circulation entre des entrées et thèmes, et diversifie les modes de traitement des objets d'étude.
- Contribution de la discipline à l'interdisciplinarité, aux EPI, dans les activités langagières mais aussi dans la compétence culturelle et les approches sensibles et esthétiques que permet le français ; complémentarité avec le rôle des professeurs documentalistes.
- Contribution à des enseignements transdisciplinaires Histoire des arts, Éducation aux médias et à l'information, Culture numérique
Orientations majeures
- Élève acteur à l'oral et à l'écrit – écrire/parler pour penser, comprendre, apprendre, écrit intermédiaire, de travail – faire écrire, faire parler – fixer une régularité et/ou un pourcentage de prise de parole et de temps d'écriture
- Élève lecteur : pratiques courantes de lecture – faire lire beaucoup – ouvrir des possibilités : écrire pour lire, pour entrer dans une démarche de lecture littéraire – lire pour lire, pour se former une sensibilité de lecteur
- Élève dans un cursus, en progrès : rappeler les objectifs de fin de cycle 3, afin d'articuler les objectifs du cycle 4. Proposer dans le programme des activités et démarches permettant d'aider les élèves qui n'ont pas atteint tous les objectifs de fin de cycle 3 de trouver une aide qui leur permette de réussir, notamment pour une lecture fluide.
Reformulation du champ disciplinaire
Il est annoncé au début du préambule du cycle 4 sous forme de quatre entrées qui mettent sur le même plan des réalités très différentes. En effet, oral, écriture et lecture renvoient à des activités langagières : parler/écouter, écrire, lire, alors que l'étude de la langue renvoie à un objet d'étude. Et dans ces quatre "entrées", la culture, pourtant un des piliers du Socle commun, semble minorée, et réduite à une activité langagière.
Nous proposons de le reformuler en séparant trois parties : les activités langagières (compréhension/production – oral/écrit), l'étude de la langue (compétences grammaticale, orthographique, lexicale, histoire de la langue) et la fréquentation des textes, notamment littéraires (compétence culturelle et sociale), ces trois parties s'articulant entre elles. Les connaissances acquises par l'étude de la langue permettent d'approfondir la posture métalinguistique, mais surtout de disposer des outils langagiers indispensables à l'expression et à la compréhension des textes. À la fois langue et culture, la littérature tient une place spécifique dans l'enseignement du français. Les séquences permettent d'articuler activités langagières, étude de la langue, textes et culture. Les thèmes fixent un cadre culturel commun, les thématiques et problématiques donnent une liberté de circulation avec la construction libre de parcours culturels, une même séquence pouvant croiser plusieurs thématiques, une thématique peut faire l'objet de plusieurs séquences.
Cadre pour développer le champ disciplinaire du français :
1. Les activités langagières, en production et compréhension, à l'oral et à l'écrit(compétences langagières)
a. Dire, se faire comprendre, débattre…, // EMC
b. Écouter, comprendre, négocier…
c. Écrire, écrire pour…, écrire avec…
d. Lire des textes variés et littéraires // EMI
2. L'étude de la langue (compétences linguistiques)
a. Compétence grammaticale
b. Compétence orthographique
c. Compétence lexicale
d. Histoire de la langue, plurilinguisme et francophonie
3. Textes et culture (compétences culturelles et sociales)
a. Thèmes par cycle et par année (progressivité)
b. Thèmes : différents genres – sources – périodes – pour la littérature : indications d'auteurs de référence par période et genre sous forme ouverte (cf. objets d'étude du lycée)
c. Place et rôle de la littérature à préciser – Champs littéraires : place de la littérature patrimoniale, contemporaine, de jeunesse, problématiques contemporaines, territoriales ; références précises aux littératures du monde, francophones et traduites
Remarques sur les différentes parties du projet de programme du cycle 4
Des remarques générales sur les différents tableaux se trouvent à la fin de cette partie.
Sur le tableau ORAL
Ce tableau devrait marquer une véritable progression par rapport à celui du cycle 3 et ne pas rester dans des généralités. Le cadre théorique (situation de communication, énonciation, discours) est éludé, voire flou, alors qu'apparait l'expression "actes de parole" de manière injustifiée. L'oral, comme activité langagière, comprend des actes de langage qui peuvent être déclinés plus précisément pour répondre aux différents genres de l'oral et aux situations de communication, avec un niveau d'exigence correspondant à la période du collège.
La partie oralisation, mise en voix, lecture à haute voix est à conserver en insistant bien sur le rôle de l'oralisation (socioaffectif, compréhension, fluidité de lecture…).
Sur le tableau ÉCRITURE
Le cadre théorique doit être précisé, sinon on reste dans l'implicite et dans une évidence dangereuse : écrire pour apprendre, comprendre, penser renvoie à la théorie de l'écrit intermédiaire (Chabanne-Bucheton), la prise en compte du processus, et l'expression "produire des écrits pour penser et pour apprendre" est fausse et contreproductive (produire // processus). Le développement du "processus d'écriture" (Hayes & Flowers) doit être explicité, déroulé ainsi il donne l'illusion d'un texte préconstruit dans la tête de l'élève qu'il n'aurait qu'à rédiger, alors que l'intérêt de la rédaction réside dans le processus, dans l'écriture en train de se faire. Ces termes doivent être clairement explicités pour que l'on voie bien de quoi on parle quand on parle de processus d'écriture.
En outre, une régularité d'écriture, dans différents types d'activités, doit être fixée ; il ne suffit pas d'indiquer une "pratique régulière et diversifiée d'écrits", cette régularité doit être précisée, et c'est en écrivant beaucoup, souvent, sur des supports variés et avec des objectifs divers, que les élèves peuvent véritablement intégrer l'écriture comme une pratique indispensable pour penser, apprendre, communiquer dans tous les domaines et dans toutes les disciplines.
Les ressources du numérique pour écrire prennent une place plus importante au collège, et l'écriture sur des blogs, des réseaux sociaux, ainsi que la question de la publication immédiate ou différée doivent être intégrées dans la partie Écriture.
Sur le tableau LECTURE
La partie Lecture ne marque pas un saut quantitatif ni qualitatif avec le cycle 3.
Elle doit rappeler quelles alternatives sont proposées aux élèves qui n'ont pas acquis la fluidité de lecture nécessaire, ainsi qu'aux élèves allophones, dans le cadre de l'école inclusive.
Cette partie Lecture doit aussi préciser clairement la démarche du sujet-lecteur présente en filigrane, et expliciter comment l'école peut contribuer à former des lecteurs non seulement compétents mais aussi sensibles, et capables d'entrer dans une habitude personnelle de lecture.
Les ressources pour la lecture, littéraires et non littéraires, sont repoussés à la fin dans les repères de programmation sont donnés, ce qui est discutable.
Ces ressources littéraires devraient faire l'objet d'un traitement plus important dans la partie lecture, et nous insistons sur la prise en compte de la littérature francophone dans les programmes. La question de la chronologie est évacuée : il ne s'agit pas d'étudier les différentes périodes littéraires dans l'ordre chronologique (ambition démesurée au collège), mais de rappeler que les œuvres étudiées, dans les différents genres, sont insérées dans une chronologie. Cette question de la chronologie peut être traitée en relation avec le programme d'histoire des arts présenté de manière chronologique, et dans les projets interdisciplinaires.
De la même manière, les ressources non littéraires, documentaires, presse, mais aussi les ressources numériques, devraient faire aussi l'objet d'un traitement plus important dans la partie lecture.
Si le tableau Lecture ne renvoie pas plus clairement à des connaissances culturelles, nous courons le danger que ces programmes soient perçus comme technicistes, et d'un niveau d'ambition et d'exigence trop faible. Pour remplir sa mission dans le cadre du Socle commun de compétences, de connaissances et de culture, la discipline français doit fixer un cadre pour développer les connaissances et compétences culturelles des élèves.
Les ressources numériques doivent être citées, notamment en lien avec l'histoire des arts et l'EMI, qui permettent un travail en collaboration avec les professeurs documentalistes.
Sur le tableau ÉTUDE DE LA LANGUE
L'introduction établit une continuité entre cycle 3 et cycle 4. La posture réflexive est explicitée, mais dans ce cycle, elle doit être approfondie et non construite, sa construction ayant commencé durant les cycles précédents.
Dans le tableau, les intitulés font apparaitre un flou préjudiciable entre compétences linguistiques et compétences langagières. Les compétences linguistiques se réfèrent à l'étude de la langue dans ses différentes composantes (grammaticale, orthographique, lexicale-sémantique) ; comme la culture, elles sont au service des activités langagières : pour parler, lire et écrire on a besoin d'avoir quelque chose à dire, et de la langue pour le dire. Ce qui est désigné dans cette partie sous le terme de compétences langagières doit être renommé comme des compétences linguistiques : grammaticale, orthographique, lexicale. Quant à la dernière catégorie sur les textes et discours, elle doit être revue, tant elle mélange des éléments qui relèvent de plusieurs ordres.
Remarques générales sur les tableaux du cycle 4
Les différentes parties du programme doivent fixer précisément des repères de progression. Dans le projet actuel, la progression entre les attendus du cycle 3 et ceux du cycle 4 est infime, ou mal explicitée, tant au plan langagier, linguistique que culturel, faisant craindre une régression ou une stagnation dans les apprentissages.
Chaque partie doit aussi ouvrir des pistes vers les langages des disciplines, et des indications pour l'interdisciplinarité, ainsi que pour l'histoire des arts, l'EMI et l'EMC (ce sujet sera traité dans la dernière partie sur l'ensemble des programmes).
Des exemples d'enseignements pratiques interdisciplinaires dans lesquels le français est impliqué doivent être donnés.
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Sur les programmes des trois cycles, toutes disciplines
Les projets de programmes des cycles 2-3-4 soumis à la consultation s'inscrivent dans le cadre plus large de la refondation de l'École de la République, et l'AFEF souhaite souligner plusieurs avancées très positives.
Une présentation d'ensemble
Pour la première fois depuis longtemps, en effet, les programmes sont présentés dans un document commun, qui établit une continuité entre disciplines, et marque les liens entre apprentissages disciplinaires et domaines du Socle commun de compétences, de connaissances et de culture. Ce qui répond à une demande des professeurs, notamment de collège, qui avaient eu beaucoup de mal à travailler à partir de programmes de français de 2008 dont la logique était assez éloignée de celle du livret de compétences à valider pour le socle commun. La présentation conjointe des disciplines fournit aussi une vision globale propice aux projets interdisciplinaires, formalisés au cycle 4 sous la dénomination "enseignements pratiques interdisciplinaires" (EPI).
Une remarque générale cependant, l'AFEF s'étonne que les programmes, dans leur ensemble, ne soient pas écrits en orthographe rectifiée (décembre 1990), alors que cette orthographe était la référence des programmes de français de l'école et du collège en 2008. Elle demande que cette référence soit rappelée, non seulement dans les programmes de français, mais dans l'ensemble des programmes, et qu'ils respectent cette exigence.
École du socle : la question du collège
L'école du socle propose un cadre commun pour l'ensemble de la scolarité obligatoire, celui des cycles de trois ans ; le cycle 3, qui englobe les dernières années de primaire et la classe de 6ème, vise à diminuer une rupture difficile à vivre pour les élèves, et à laquelle on essaie, depuis des années, de remédier par des actions de liaison école-collège. Cette réorganisation s'appuie certes sur une intention généreuse, mais suscite aussi des questions : comment prépare-t-on le passage d'un cycle à l'autre, comment prépare-t-on au sein du cycle 3 le passage du primaire au secondaire, de l'école au collège ? Il ne suffit pas de dire que la fin du cycle 3 est au collège pour que tout se passe sans difficultés.
Car c'est sur le collège que se portent plus particulièrement notre attention et nos remarques. Si la réforme du collège cristallise actuellement autant de critiques, en partie injustifiées, c'est bien parce que le collège est moins préparé au changement que le primaire. Si l'école connait déjà largement le travail en ateliers et l'accompagnement individualisé, les enseignants du collège sont moins préparés aux changements de postures qui ont permis à leurs collègues du primaire de faire évoluer les pratiques de classes. Et, que l'on en soit d'accord ou non, le statut des enseignants du primaire et du secondaire est différent : comment les professeurs de 6ème vont-ils vivre le fait d'être tirés du côté du primaire alors que leur corps de rattachement les tire plutôt du côté du lycée ? Sans un accompagnement très solide en formation continue et une préparation en formation initiale des enseignants, cette soudure ne prendra pas, la charnière ne s'articulera pas correctement, et l'école du socle restera un vain mot.
Organisation du cycle 4 : penser la durée
Le cycle 4 se situe à une position centrale dans le cursus des élèves, entre le primaire et les études post-3ème, et cette question du continuum doit être réfléchie non seulement dans ses articulations entre cycles, mais aussi dans son déroulement interne. Si le collège pense en cycle, va-t-il mettre en place des activités intra-cycle et inter-niveaux, ou cette étape va-t-elle être plaquée comme un cadre institutionnel sans fonction véritable pour le cursus des élèves ? Penser un cycle, c'est non seulement penser sa continuité externe, mais aussi sa continuité interne avec des évolutions en trois ans qui imposent à la fois une progression et une circularité des apprentissages. Avec une période de trois ans globalisée, il devient encore plus important de donner des repères annuels de progressivité pour permettre aux élèves de se situer dans une évolution positive.
Et cette question de la durée doit aussi être pensée et fixée pour les différents projets auxquels les programmes du cycle 4 donnent la priorité. Autant la durée est nécessaire pour ancrer les apprentissages, autant une durée trop longue réservée à un projet devient contreproductive pour l'intérêt des élèves. La forme des EPI et celle des séquences dans lesquels s'inscriront les projets disciplinaires et interdisciplinaires impliquent un déroulement dans le temps qu'il est nécessaire de préciser dans les programmes.
Apprentissages au cycle 4 : activités langagières et interdisciplinarité
Dans le Socle commun, les langages pour penser et communiquer constituent le premier des grands enjeux de formation ; dans le Collège 2016, la maitrise des savoirs fondamentaux pour tous passe non seulement par des modes d'accompagnement et d'interaction, mais aussi par des dispositifs interdisciplinaires.
Le français tient, à ce titre une place particulière et centrale puisqu'un des objets de la discipline est de développer les activités langagières et de mettre en place une posture méta-réflexive sur les langages, notamment par l'étude de la langue. Les activités langagières de l'oral et de l'écrit, dans toutes les disciplines utilisent dans chaque domaine de spécialité des termes qui pour être identiques n'en recouvrent pas moins des réalités fort diverses : décrire, en géographie, en arts, en français, en mathématiques, en sciences, renvoie à des tâches différentes ; par exemple, le statut de la preuve n'est pas le même quand on argumente en mathématiques ou en français… La langue des disciplines renvoie à des apprentissages langagiers qui ne peuvent se réduire au lexique et à la norme orthographique-grammaticale ; les langages pour penser et communiquer utilisent différents médias dont la langue qui suppose des apprentissages linguistiques spécifiques du cours de français. Non que le professeur de français veuille se poser en démiurge de la langue, mais solliciter son expertise linguistique contribuerait très largement à expliciter les activités langagières des disciplines, condition indispensable pour que l'interdisciplinarité serve les apprentissages.
Or, une lecture des programmes des disciplines traditionnelles avec horaires montre combien cette dimension des activités langagières est peu prise en compte ; ignorées dans certaines disciplines, quand ces activités langagières sont citées, elles ne sont pas reliées au français, mais plutôt présentées comme une évidence, comme si chacun savait bien ce que signifie décrire, faire un récit, argumenter… En ce qui concerne l'interdisciplinarité, le constat est le même, quand des indications sont données dans les disciplines, elles ne réfèrent jamais au français, comme si, là encore, la contribution du français à l'interdisciplinarité relevait d'une évidence telle que l'on n'en a pas besoin.
Quant aux enseignements transdisciplinaires, histoire des arts, éducation aux médias et à l'information (EMI), enseignement moral et civique (EMC), la situation est variable. En histoire des arts, le français fait partie des disciplines dans lesquelles elle est enseignée, les activités langagières sont précisées, mais sans aucune indication interdisciplinaire. L'EMI irrigue les disciplines qu'elle ne nomme pas, et si le programme cite des activités langagières et se réfère aux EPI, ces références restent générales, sans solliciter le français. (L'EMC, attribuée à l'histoire-géographie, fait appel à une culture de la sensibilité et à des activités langagières normalement prises en charge en cours de français, sans que cette option semble être envisagée.)
Cette question de la réflexivité sur les activités langagières dans les disciplines et pour l'interdisciplinarité est nécessaire dans les programmes. L'apport du français dans l'interdisciplinarité en termes de compétences langagières, linguistiques, mais aussi culturelles, doit apparaitre clairement. Et le cahier des charges des EPI, qui constitue le dernier volet du programme de cycle 4, doit être assorti des moyens mis en place pour l'accompagnement des enseignants en formation initiale et des équipes d'enseignants en formation continue, et cela dès l'année 2015-2016.
Le 12 juin 2015,
Pour l'AFEF, Viviane YOUX, présidente