Association française pour l’enseignement du français

Primaire

  • 03
    Nov

    Questionner la lecture en réseaux, de Joëlle Thebault

    Dossier Littérature à l'école

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    Le texte qui suit ne prétend ni à l’innovation, ni à l’exhaustivité. Il se propose simplement de rappelerquel usage on peut faire des documents déposés récemment sur le site de l’AFEF, en liaison avec la parution d’une nouvelle sélection ministérielle en mars 2013.

    Sur la toile, on trouve bien des occurrences de l’expression « réseaux ». Les liens actifs, en particulier les blogs d’enseignants du premier degré, montrent bien la persistance des confusions combattues par tous les didacticiens qui abordent la question. Sur la toile (et dans les classes ?), « un réseau de lecture », c’est généralementune liste de livres rattachés à un « thème » : Le fantastique, La famille, Le loup, La sorcière, La différence, L’école, Contes détournés, Les points de vue, Album sans texte, Structure répétitive, Autour de l'objet livre, La guerre, L’amitié… On voit que sont proposés pêlemêle des thèmes au sens propre (La famille, L’école…), mais aussi des genres, des personnages archétypaux ou des motifs.

    L’intérêt des enseignants pour le rapprochement de livres ne se dément donc pas, ce qui est une excellente chose, mais il semble bien que l’évolution vers un usage littéraire de ces catégories reste à accomplir. On peut espérer qu’elle sera encouragée par les programmes à venir, et facilitée par les actions de formation qui les accompagneront.

    Rappelons dès à présent quelques principes : quelques-uns des nombreux textes parus à ce sujet ont été relus et sont analysés à la fin de l’article. Une numérotation fondée sur l’ordre alphabétique permet de s’y référer. 

    Pour un usage littéraire de la mise en réseaux de lectures

    - Au-delà du thème, viser un questionnement et/ou une catégorie littéraire à construire. L’enseignant, par association d’idées (8), s’appuie souvent sur un thème pour opérer plus ou moins intuitivement un premier choix de livres, ce qui implique un certain nombre de similitudes. A partir de là, un apprentissage littéraire peut être visé

    • Si on rattache ce « dénominateur commun » à l’une des catégories proposées (6, 8). Par exemple, l’accumulation d’histoires où figure un loup, en soi, ne produit pas d’apprentissage : les élèves peuvent simplement constater qu’il y en a souvent, des loups, dans les histoires ! Si le rapprochement est conçu comme l’occasion de  repérages concernant le personnage archétypal du loup, on permet aux élèves de le reconnaitre dans d’autres lectures, ou de s’amuser des écarts
    • Si on problématise (3)la confrontation. Par exemple, au fil des histoires de loup que l’on rencontre, poser la question « Faut-il avoir peur du loup ? » permet de s’interroger (selon le corpus retenu) soit sur les effets produits par le texte sur le lecteur (suspens, comique, etc.), soit sur la portée symbolique de certaines histoires comme le Masque, de Solotareff.


    - Impulser le travail, sans oublier que la fécondité du dispositif tient à la façon dont  les élèves s’y impliquent. C’est généralement l’enseignant qui est à l’origine d’une mise en réseaux par les lectures qu’il propose, en faisant l’hypothèse que leur rapprochement sera riche de significations. L’essentiel est le travail cognitif que feront les élèves (5). Si l’enseignant les fait entrer dans le jeu des comparaisons, ils en verront d’autres, améliorant leur compréhension des textes, car comprendre, c'est créer des liens(4). Ainsi, « un élève qui, lorsqu’il lit le roman de Roald Dahl, Fantastique maitre Renard, évoque spontanément Le roman de Renart qu’il a lu auparavant est en train de construire la culture littéraire qui est notre propos. » (2)

    - Faire repérer les stéréotypes, en particulier aux élèves les plus jeunes, pour ne les dépasser que dans un deuxième temps. Les premiers rapprochements sont de l’ordre du même, il s’agit en fait de stéréotypes (1, 2) mais loin de devoir être écartés, ceux-ci sont les clés d’une catégorisation favorisant la prise de repères dans les lectures à venir. C’est l’un des aspects de ce qu’on appelle une « première culture littéraire » (1, 2, 6, 7, 8).
    Ensuite, c’est en repérant des dissemblances au-delà des similitudes (3, 4) que les élèves entrent dans le jeu des textes et affinent leur compréhension, mais aussi accèdent au plaisir du texte.

     

    Quelques textes d’appui, possibles prolongements de lecture

    (1) BUTLEN Max, Que faire des stéréotypes que la littérature adresse à la jeunesse ?FA n°149, 2005, repris dans Enseigner la littérature de jeunesse, Le Français aujourd'hui, Hors-série,  Armand Colin 2008[1](p.195 sq.).

    Cet article analyse ce que recouvre la catégorie du stéréotype, expliquant par là pour quelles raisons elle est « ordinairement assez dépréciée », mais montre aussi qu’elle « entre de façon inévitable dans la formation des jeunes lecteurs ».  Citant Ruth Amossy[2], l’auteur rappelle que les stéréotypes « sont constitutifs des textes qui peuvent s’en jouer mais non s’en passer ». Il importe donc, à l’école, de « construire la culture littéraire de chaque élève par familiarisation avec des formes (…) qui lui permettront (…) d’effectuer des repérages, d’installer un horizon d’attente, de devenir progressivement critique à l’égard de schémas trop éculés, d’être sensible à des variations » qui seront étudiées plus précisément au collège et au lycée. Il plaide donc pour « un temps d’appropriation suffisant des textes-sources » à l’école primaire.

     

    (2) CRINON  Jacques, Une première culture littéraire, in La littérature de jeunesse, une nouvelle discipline scolaire ?, Les cahiers pédagogiques  n°462, avril 2008 (p.31 sq.)

    Parmi les idées directrices de l’ouvrage collectif[3] auquel il a participé peu de temps auparavant,  Jacques Crinon revient ici  sur l’enjeu d’une « première culture littéraire » : il s’agit de faire construire aux élèves un ensemble de connaissances partagées « qui sont autant de références communes ». Il souligne que la littérature, « en parlant du monde, l’organise en catégories implicites. » Il écarte l’idée de travailler par thème, ce qui peut engendrer des confusions entre « objets du savoir scolaire » et « expérience sensible », alors qu’il s’agit d’opérer « la construction progressive d’objets propres à la littérature ».

    Il préfère à celui de « genre » le terme de « figure littéraire » pour désigner « la ruse, le pacte avec le diable, la métamorphose, l’énigme, la promesse, la liberté », et bien d’autres.  Choisissant de développer celle de la ruse, il montre qu’elle apparait dans divers domaines textuels, s’incarne différemment selon les époques et les cultures. Faire lire aux élèves « des textes nombreux, divers, regroupés en fonction de ces figures », c’est « mettre un accent particulier sur ce par quoi le récit fait sens ». Sans aller jusqu’à construire des listes de figures et d’œuvres qui s’y rattachent, l’objectif est que les élèves « gardent en mémoire » ces textes comme « points de référence ». En effet, « expliciter avec les élèves les ressemblances entre les œuvres et provoquer ces rapprochements peut donner, en particulier aux élèves en difficulté, des clés que les grands lecteurs acquièrent seuls et implicitement. »

     

    (3) DAVID Jacques, MARTIN Serge & PERROT Annie, Grouper des textes à l’école élémentaire, FA n°97, 1992, repris dans Enseigner la littérature de jeunesse, Le Français aujourd'hui, Hors-série,  Armand Colin 2008[4] (p.85 sq.).

    Sous le titre 1992 : les premiers réseaux de texte à l’école, la revue présente trois articles[5] qui ne se réfèrent pas explicitement à cette notion. Mais, parlant alors de groupement de textes, on se démarque déjà de l’approche thématique qui a longtemps régné par le fait qu’on se livre à une problématisation : « Les notions de personnage, de variations textuelles, de motif narratif et de schème symbolique nous permettent ici d’articuler différentes approches linguistiques et culturelles pour des activités de lecture-écriture. » Jacques David souligne que son « projet consiste moins à trouver les points communs, inévitablement très généraux, à une série de textes qu’à saisir les spécificités sous l’apparente similitude. » C’est ce qu’il propose en s’intéressant à la distinction « entre personnages et personnes », à leur qualification, et aux « différents modes d’entrée en scène du personnage principal » avec des élèves de cycle 3.

     

    (4) DEVANNE Bernard, Lire & écrire, des apprentissages culturels, tome 1 : cycle 1 et cycle 2 tome 2 : cycle 3, liaison école-collège, Armand Colin (1992 et 1993 pour la première édition). Lire, dire,  écrire en réseaux, des conduites culturelles, cycle 3, Bordas  2006.

    Les deux premiers ouvrages, actuellement indisponibles, ont joué un rôle important dans la diffusion de pratiques de mises en réseaux dans les écoles, bien avant l’apparition de cette notion dans les instructions officielles. L’auteur explique ainsi dans un entretien[6] : « Dès la constitution du groupe lecture-écriture de l'Orne, en 1981, nous nous sommes appuyés sur une approche qui s'est avérée très productive : tout apprentissage implique des attitudes comparatives, la construction de relations, l'identification et la caractérisation de similitudes et de différences. Pour le dire en une formule resserrée sur l'essentiel, comprendre, c'est créer des liens. » L’ouvrage paru en 2006 montre comment faire advenir « un sujet culturel en projets », à partir de situations d’écriture s’articulant à des lectures, notamment documentaires.

     

    (5) DEVANNE Bernard, « Réseau » : un singulier fâcheux…, in La littérature de jeunesse, une nouvelle discipline scolaire ?, Les cahiers pédagogiques  n°462, avril 2008 (p.30 sq.)

    Pour l’auteur, le principe fondamental d’une « pensée en réseaux » est que « l’élaboration de réseaux relève exclusivement des conduites cognitives des élèves ». Il l’illustre par une mise en réseaux interne à l’œuvre de Claude Ponti mise en place dans une classe de cycle 3. 

     

    (6) GION Marie-Luce, Des lectures polyphoniques, in Les chemins de la littérature au cycle 3, Sceren CRDP académie de Créteil, 2003 (p.13-35)

    Dans cette introduction à l’ouvrage dont elle a assumé la coordination, l’auteur met en lumière les changements pédagogiques supposés par les programmes de 2002[7], en ce qui concerne la lecture particulièrement. Dans le cadre de sa présentation de « quelques concepts théoriques » (Comprendre et interpréter, Le rôle irréductible du lecteur, Le texte littéraire, La lecture littéraire : entre participation et distanciation), l’auteure montre l’importance de « l’activation des références transtextuelles » et donc « de la constitution à la fois d’une culture commune à la classe (…), d’échanges à propos de lectures (…), mais aussi de situations qui favorisent la mise en réseaux ». Elle explique ensuite ce qu’est La transtextualité (p.23-24) avant de présenter les dispositifs didactiques de l’ouvrage. La partie Les œuvres en réseaux (p. 26-28) rappelle les différents types de mises en relation envisagées, en soulignant que leur intérêt est d’« éclairer et d’ouvrir l’interprétation », d’« approfondir la compréhension » du livre-repère.

    Parmi les propositions qui suivent, on note celles de Françoise Caminade-Riffault, Chacun cherche son chat : Le chat botté (p.39-72), transposable pour une part au cycle 2[8].

     

    (7) TAUVERON Catherine, SÈVE Pierre,  Interpréter, comprendre, apprécier la littérature dans et par la confrontation des textes – trois lectures en réseau à l’école, in REPÈRES n° 19, 1999[9] (p.103 sq.).

    La lecture en réseau est l'un des dispositifs possibles pour atteindre deux objectifs au cœur de la recherche INRP[10] Didactisation de la lecture littéraire du récit à l'école, cycles 2 et 3 :

    a) la nécessité, pour qui veut introduire la lecture littéraire à l'école, de développer des comportements lexiques spécifiques, parmi lesquels figure l'aptitude à tisser des liens entre le texte en cours de découverte et les textes de sa bibliothèque intérieure ;

    b) la nécessité corolaire d'accueillir el de nourrir la culture de l'élève pour nourrir sa lecture.

    Le travail présenté repose sur trois regroupements construits :

    • autour d'un texte-source et de ses adaptations (La Belle au bois dormant en CM1-CM2),
    • autour d'un auteur (Rascal, avec Fanchon, Moun, Pied d'or, La nuit du grand méchant loup, Petit lapin rouge et Poussin noir, en CM1),
    • autour d'un motif symbolique (le mur en CE2).

     

    (8) TAUVERON Catherine, Lire la littérature à l’école : pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM. Hatier 2002.

    L’ouvrage a joué un rôle déterminant pour engager les enseignants dans la mise en œuvre des programmes de 2002, où l’enseignement de la littérature impliquait une évolution profonde des pratiques dans l’utilisation de la littérature de jeunesse. Après avoir évoqué les spécificités du texte littéraire et analysé les problèmes de compréhension qu’il pose aux élèves, elle fait la liste des compétences à construire, dont les genres et les stéréotypes, « fondements de la connivence culturelle ». La critique des dispositifs traditionnels (explication de mots, questionnaires), elle propose des dispositifs fertiles, dont la lecture en réseau (p.147-165) qu’elle illustre de plusieurs exemples. A ses yeux, « Le réseau opère comme un révélateur »… à condition de ne pas être confondu avec un rapprochement thématique. Il importe en effet qu’il réponde « à un problème de lecture attesté ou anticipé par le maitre ». Pour bien sélectionner les textes, celui-ci devra assembler un premier corpus informel, « par association d’idées ». C’est une analyse attentive qui fera apparaitre lesquels, parmi ces textes, sont « opératoires » face au problème identifié. 

    Une partie importante de l’ouvrage (p. 207-282) propose ensuite « la mise en relation concertée des textes comme moyen de construire une culture », ainsi qu’une « typologie des réseaux possibles » (voir M. L. Gion, texte cité plus haut), illustrée par des exemples, et promise à un grand avenir didactique[11]. Beaucoup de sites académiques en font en effet le résumé sans toujours s’y référer explicitement.



    [2]R. Amossy, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Nathan, Paris, 1991

    [3] J. Crinon, B. Marin, J-C Lallias, Enseigner la littérature au cycle 3, Nathan 2006.

    [5]J. David, Entrer dans le roman par les personnages, A. Perrot, De l’alphabet au roman : quelques propositions de regroupement des textes, et S. Martin, Les mille et un cercles du groupement de textes, une expérience en CE2-CM1-CM2.

    [7] Ministère de l’Education nationale, Qu’apprend-on à l’école élémentaire ?, CNDP 2002.

    [8] Ce conte de Perrault figure dans la sélection ministérielle pour le cycle 2, niveau 3.

    [10] Voir C. Tauveron, dans ce même numéro, pour l'exposé complet du cadre théorique de la recherche.

    [11] Elle les récapitule dans un document mis à jour le 15/04/ 2011, consulté le 22/10/2013 : http://eduscol.education.fr/cid46319/fonctions-et-nature-des-lectures-en-reseaux.html

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