Retrouvez cet article dans A la Une de la Lettre de l'AFEF n° 1
Sous une présentation apparemment identique, c’est à une refonte totale des objectifs de l’enseignement du français au lycée que nous assistons, du point de vue de la conception de l’enseignement du français qui la sous-tend et de la place de l’élève qui est envisagée (ou pas) dans ce processus.
C’est une approche purement expositive qui est avancée, dont les élèves sont absents. Expositive dans le sens où les objets dont on parle sont juste exposés, sans être problématisés sur le plan littéraire. Expositive dans le sens où l’exposition des élèves à leur contact suffirait apparemment, sur le mode de l’infusion ou de la capillarité, à leur appropriation. Les objets littéraires et linguistiques sont en effet présentés comme ayant en eux-mêmes leurs propres fin et principe d’action. Leur didactisation n’aurait pas du tout à être pensée.
On assiste donc à un appauvrissement dramatique de la pensée dans ces programmes. Ils montrent à la fois une conception faible de la littérature et de la langue (se contenter de lister et de désigner leurs objets tient lieu de problématisation) et de l’enseignement-apprentissage (les objets sont mentionnés sur le mode de l’évocation, en dehors de toute confrontation à l’empirie).
Les finalités.
Les précédents programmes attestaient de l’existence de catégories de pensée qui présidaient à leur élaboration. Les finalités étaient en effet rédigées sous la forme de courts textes qui problématisaient leur objet. Là, on se contente d’une liste d’objectifs qui dans leur contenu sont plutôt recevables (si ce n’est la question de l’émotion : comment apprend-on l’émotion à des élèves ?!), mais qui sont présentées sans réflexion ni mise en tension avec la question des apprentissages. Alors que, paradoxalement, « l’acquisition des savoirs » disparait comme premier objectif général (les autres restant inchangés : « l’acquisition d’une culture, la formation personnelle et la formation du citoyen »), c’est pourtant bien à une focalisation sur une approche passive des connaissances que l’on assiste. Le glissement de « programmes de français » à « l’enseignement des Lettres » est significatif de la hiérarchie retenue dans leur présentation.
« Conscience historique de la littérature » et « culture littéraire ouverte sur d’autres champs du savoir et de la société », ces deux premières finalités sont précisées un peu plus loin par « la lecture et l’étude de textes majeurs de notre patrimoine ». Qu’entend-on par là ? A quelle période commence ou se termine le patrimoine ? Quid de la littérature contemporaine ? De la littérature francophone ? De la littérature étrangère en traduction ?
Une notion floue apparait à plusieurs reprises : celle de « conscience esthétique », reprise plusieurs fois sous la même forme, ou sous celle de « repères esthétiques », sans plus de précisions sur ce qui permettrait de constituer cette conscience ou ces repères. S’agit-il de revenir au jugement du beau texte, dans la lignée Lagarde et Michard ? Ou plutôt d’une réflexion sur l’art et l’esthétique, qui ne peut se résumer à des critères d’appréciation et d’émotion ?
La « maitrise accrue de la langue », premier objectif des programmes de Seconde et Première de 2002 et 2006, devient en 2010 « étude continuée de la langue » ; en plus d’être reléguée en quatrième position, son approche change totalement, il ne s’agit plus de maitrise mais d’étude, comme s’il suffisait de connaitre la langue pour la mettre en œuvre efficacement !
Après les finalités, le titre de la deuxième rubrique est surprenant si l’on se fie à son contenu : alors que les « Compétences visées » appellent selon le texte même des évaluations régulières, elles ne sont qu’une série de connaissances passives ; introduites par « connaitre, avoir, ou connaissance », comment peuvent-elles être des compétences évaluables et significatives des savoir-faire des élèves ? L’on peut s’interroger sur ce qui fait nommer compétences ce qui n’apparait que comme des connaissances figées. On est loin d’une construction de savoirs qui permettraient l’accès à l’interprétation et à la compréhension. Certaines des compétences qui apparaissent en sous-catégories, précisées et valorisées, favoriseraient pourtant une approche plus active ; mais elles nécessiteraient alors une autre présentation et hiérarchisation.
Que reste-t-il des démarches ? Très symptomatique de l’idéologie qui sous-tend ces programmes, la rubrique « Mise en œuvre et pratiques », très développée dans les précédents programmes, est réduite ici à la portion congrue : pas d’indications didactiques, liberté pédagogique oblige ! Et si, dans la partie « Contenus », la rubrique « Etude de la langue » devient pléthorique, surtout en seconde, les rubriques « L’écriture » et « L’oral », disparaissent, rassemblées dans une courte rubrique « Exercices », très vague, sans aucune indication du type de productions attendues ni des apprentissages visés. On voit la chute vertigineuse, sur le plan de l’exigence intellectuelle, quand les activités se voient réduites à l’état d’exercices. Plus d’indications du nombre minimum de livres à faire lire en lectures intégrales ; quant aux précisions sur les différents types d’écrits que produiront les élèves, elles sont de nature à inquiéter : l’écriture d’argumentation est explicitée en « initiation au commentaire, initiation à la dissertation », sans aucune allusion à des types d’écriture argumentative qui sortent de la glose ; l’écriture d’invention est juste citée, sans précision, non plus que sur ce qu’on peut appeler « écriture de synthèse et de restitution ».
Symptomatique encore, le processus de mise en œuvre est d’une certaine manière pris en compte mais d’une façon telle qu’il est en quelque sorte annulé dans son opérativité. En effet, c’est dans la partie « contenus » des programmes de Première qu’on trouve des éléments de ce qu’on ne peut pas appeler « mise en œuvre » pour autant. Un rapide passage en revue des verbes utilisés pour désigner ce que fait le professeur est assez édifiant : « L’objectif est de montrer aux élèves.. », « On prête une attention particulière… », « le professeur a soin de proposer… » ou « veille à proposer… », « on fait ainsi appréhender… » sont quelques exemples d’usages de verbes qui ne disent rien des processus d’apprentissage que le professeur doit prendre en compte et mobiliser. C’est l’exposition de l’élève au texte, sublime, forcément sublime, qui va mystérieusement faire son office. Perle du genre : « En liaison avec l’histoire des arts, un choix de textes et de documents donnant à comprendre aux élèves comment la peinture, la sculpture et l’architecture de la Renaissance contribuent à la valorisation de l’homme, à la redéfinition de sa place dans le monde, à la célébration de sa beauté et de ses pouvoirs ». Pourquoi tant de gens se fatiguent et travaillent à analyser les rapports entre processus d’apprentissages des élèves et situations d’apprentissage quand il suffit, pour atteindre des objectifs aussi exceptionnels que ceux mentionnés ci-dessus, de juste savoir faire un bon choix de textes et de documents ?!
C’est bien une reconfiguration générale que nous assistons. Après l’école élémentaire et le collège, le lycée risque bien d’être gagné lui aussi par l’effacement progressif des avancées de la didactique et de la pédagogie, sous le masque d’un classicisme prétendument efficace et supérieur. A moins que les enseignants ne montrent rapidement que pour eux, les progrès des élèves passent d’abord par une prise en compte de leurs capacités d’apprentissage et de production.
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