Association française pour l’enseignement du français

Primaire

  • 19
    Mar

    Le b.a.-ba selon Robien ( Le Nouvel Observateur, semaine du 9 au 15 mars 2006)

    Que faire pour aider ces 15 à 20 % d'enfants qui ne savent pas, ou si peu, lire en sixième ? Le ministre a tranché : dans les classes, on s'en tiendra au b.a.-ba. Par Caroline Brizard
    Attention, cet instituteur est hors la loi. Devant ses élèves de CP, il tient un tableau sur lequel un texte court, imprimé en gros caractères, qui commence par « Sabrina rentre à la maison ». Les enfants ne savent pas encore lire, mais avec l'aide de leur maitre ils vont essayer de retrouver ce qui est écrit. Cet exercice, un parmi d'autres pour les familiariser avec la lecture, est désormais banni. Le 3 janvier, dans sa circulaire « Apprendre à lire », le ministre de l'Education Gilles de Robien a interdit tout ce qui s'écarte du strict b.a.b-a. Un recadrage autoritaire, qui met la grande maison sens dessus dessous. Ce jeudi 9 mars, le ministre intervient devant les recteurs et les inspecteurs de l'Education Nationale lors d'un séminaire sur « Apprendre à lire à l'école primaire ». C'est peu dire qu'il est attendu. Bien sûr la situation n'est pas idéale : de 15 à 20% des élèves arrivent en sixième sans savoir lire. « Soit ils ne savent même pas déchiffrer, soit ils ânonnent sans comprendre ce qu'ils lisent » résume un inspecteur général de l'EN. A qui la faute ? Pour le ministre, la chose est entendue. Le diable, c'est la méthode globale. Il faut la bouter hors de l'école, et avec elle tout ce qui y ressemble. « J'attends des maitres qu'ils écartent résolument ces méthodes qui saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d'accéder de façon autonome à la lecture », écrit-il dans sa circulaire. 84% des parents applaudissent. Le ministre ne prend pas de risque, ladite méthode est enterrée depuis vingt ans. Quoi d'autre ? « Un entrainement systématique à la relation entre lettres et sons doit donc être assuré afin de permettre à l'élève de déchiffrer, de relier le mot écrit à son image auditive et à sa signification ». Là encore, rien de nouveau. Depuis dix ans, tout le monde est d'accord. On trouve cette recommandation parfaitement explicitée dans les programmes de 2002 pour l'école primaire. En 2003, les chercheurs, psycholinguistes, neurolinguistes de tout poil réunis pour une conférence du Piref (Programme Incitatif de Recherche en Education et Formation), censée établir un consensus sur la lecture, l'ont redit. Et au niveau international « des méta-études montrent que ces méthodes qui enseignent systématiquement les correspondances grapho-phonémiques sont plus efficaces que toutes les autres, notamment pour les enfants à risque de difficultés d'apprentissage, que ce risque soit d'origine linguistique ou sociologique », rappelle la linguiste Liliane Sprenger-Charolles, directeur de recherches au CNRS et à l'université René-Descartes de Paris. Mais pourquoi tant de colère, alors ? Pourquoi cet appel : « Assez de polémiques, des réponses sérieuses », lancé par dix organisations de l'Education Nationale ( syndicats, mouvements d'éducation populaire, fédérations de parents d'élèves) et de nombreux représentants du monde universitaire, parmi lesquels le pédagogue Philippe Meirieu ou la spécialiste de la psychologie de l'enfant Agnès Florin ? On y parle de « vision passéiste, autoritaire et parcellaire » de l'apprentissage de la lecture. L'appel a déjà recueilli des milliers de signatures. De leur côté, les syndicats dénoncent une démarche « contre-productive », un débat « lunaire ». Des mouvements pédagogiques comme l'Association française pour la Lecture, L'ICEM-pédagogie Freinet, avec d'autres universitaires, annoncent qu'ils boycotteront la circulaire : « L'élève serait privé du désir de questionner, de comprendre, de connaitre »' C'est que, sous couvert de bon sens, le ministre a vexé tout le monde. D'abord, il a l'air de soupçonner les instituteurs de ne pas faire leur boulot : « Lire et écrire deux ou trois heures par jour comme le recommandent les programmes, apprendre quotidiennement un ou deux mots nouveau sera d'un grand profit », écrit-il. Les formations en IUFM, assurées par les chercheurs en éducation, devraient aussi être plus concrètes, écrit en substance le ministre. Sans doute touche-t-il là un point sensible : « Mes jeunes collègues qui débarquent dans les classes de CP sont paniqués. On ne leur a pas appris, pratiquement, à organiser une séance d'apprentissage. » reconnait une institutrice qui accueille souvent des stagiaires. En attendant la grand-messe du 9 mars, certains formateurs ont été suspendus de cours, à la demande du cabinet. Comme Roland Goigoux, de l'IUFM d'Auvergne, qui formait'les inspecteurs de l'Education Nationale à l'enseignement de la lecture ! Les éditeurs eux-mêmes sont priés de revoir leur copie. « Gilles de Robien nous a réunis à la mi-décembre pour nous demander d'expurger nos manuels des traces de méthode globale » s'exclame Marie-Noëlle Audigier, directrice générale chez Hatier, Ratus, Ribambelle, Abracadalivre, Crocolivre'A l'index !La méthode globale devient un fourre-tout dans lequel le ministre jette toutes les recommandations de la recherche. « Le ministre de l'Education fait la part belle aux mouvements les plus réactionnaires », regrette l'historien Antoine Prost. Des mouvements comme Sauver les Lettres ou SOS-Education, qui proposent des solutions simplistes à des problèmes de plus en plus compliqués. « Soit, une infime minorité des maitres n'enseignent pas assez le déchiffrage :1%, 5% ?On ne sait pas. Certains de leurs élèves comprennent mal ce qu'ils lisent, parce qu'ils épuisent leur attention à déchiffrer », constate Michel Fayol, psycholinguiste. Mais l'essentiel est ailleurs. « Pour la grande majorité des mauvais lecteurs en sixième, c'est le vocabulaire qui leur fait défaut pour donner du sens à ce qu'ils déchiffrent. Un peu plus de b.a.-ba n'y changera rien », résume un inspecteur général de l'Education Nationale. Et résoudre ce problème-là, ce sera une autre histoire. Caroline Brizard ' Le Nouvel Observateur 'N° 2157 du 9 au 15 mars 2006

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