Comment ne pas souscrire a priori aux annonces du Ministre de l'Education Nationale, Xavier Darcos, dans son discours de présentation des nouveaux programmes du primaire, quand il souhaite aider les élèves les plus nécessiteux à sortir de l'échec scolaire ?
Mais quand les objectifs précis se réduisent à des objectifs chiffrés : « diviser par trois en cinq ans », « diviser par deux », même si nous restons dubitatifs quant à ces chiffres, nous pouvons nous interroger sur les choix de notre gouvernement en matière d'éducation.
Et quand les moyens proposés pour atteindre ces objectifs renvoient l'aide en dehors du temps scolaire, nous ne pouvons qu'être inquiets sur les capacités de l'école à vraiment penser une « nouvelle organisation du temps scolaire ». Que nous propose-t-on pour ne pas stigmatiser par une présence prolongée à l'école ceux qui déjà souffrent d'une image bien négative d'eux-mêmes ?
En s'adressant aux journalistes, notre ministre choisit, dès ses premiers mots un angle d'attaque dont la lecture à double sens n'aura pas échappé aux lecteurs avertis. Derrière un raisonnement concessif fort bien mené, qui conduira le discours vers la prise en compte de la réalité actuelle, les premières phrases font abonder les souvenirs nostalgiques d'une mémoire soi-disant partagée qui rassemble les apprentissages fondamentaux sous leurs habits les plus classiques (tables de multiplication, lettres de l'alphabet, poésie récitée). Et c'est bien cette mise en relief que vont retenir les journalistes et qui va leur faire titrer immédiatement sur le bon vieux retour aux méthodes traditionnelles.
Et, parmi les cinq changements annoncés, les deux premiers (devrions-nous nous en réjouir ?) renvoient directement à notre discipline : clarification et renforcement des horaires en français et retour au cloisonnement disciplinaire, notamment dans le domaine du français.
« Des horaires plus simples et plus précis » donnent l'illusion d'un renforcement du volume horaire dévolu à notre discipline, comme l'explique Philippe Devaux dans sa relecture des nouveaux programmes, et surtout si s'annonce un retour vers le cloisonnement. En effet, la maîtrise de la langue, jusque-là portée en primaire par plusieurs champs disciplinaires, se verra cantonnée dans un horaire strict, au risque de faire perdre à nombre d'élèves le lien fédérateur entre les activités que constitue la langue.
Car dès qu'est affirmée « l'ambition retrouvée des programmes disciplinaires », les couleurs sont hissées : grammaire, vocabulaire, orthographe ; le choix des termes n'est évidemment pas neutre, il parle si bien à ces épris du passé à qui ont été dédiées les premières lignes du discours. Et, s'il n'était pas assez explicite, il est immédiatement exemplifié par une liste des temps (bagage indispensable de l'élève de primaire), le retour en force de la récitation (nouveau fer de lance de la révolution culturelle promise), et de la rédaction, dont l'aspect mécaniste nous préservera au moins d'une créativité exacerbée.
Pas un mot sur la littérature, ni même sur la lecture, si ce n'est pour dire que la maternelle doit préparer l'entrée à « l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul ». Ainsi, heureusement, le véritable enseignement pourra commencer plus tôt, nous nous demandions aussi comment la semaine allait pouvoir contenir toutes les nouvelles disciplines : histoire des arts, éducation au développement durable, instruction civique et morale, puisque l'ampleur hebdomadaire diminue, que les horaires du français augmentent et qu'aucune autre discipline n'est rognée. Si les élèves savent déjà lire et écrire en sortant de maternelle, nous comprenons mieux !
Nous regrettons, sur un projet qui aurait dû donner un nouveau souffle à notre école, et dont nous espérions qu'il permettrait de sortir de querelles stériles qui ont alimenté les chroniques sous le ministère précédent, qu'une nouvelle fois notre gouvernement ait sacrifié aux effets d'annonce et fait preuve de précipitation. Nous avons demandé, depuis plusieurs mois déjà, une entrevue avec M. le Ministre Xavier Darcos. Si, au lieu de rester dans l'antichambre, nous avions pu trouver un peu de place pour la concertation, la négociation, la face des programmes n'en eût peut-être pas été changée, mais nous n'aurions certes pas manqué d'insister sur les bases indispensables d'un enseignement du français au service d'un idéal démocratique : l'accès à la lecture et à la littérature pour se construire, la mise en situation de la langue dans toutes ses dimensions (grammaticale, lexicale, orthographique) et les dangers de normes sociales excessives, le développement de l'autonomie dans les activités d'écriture et de prise de parole. Nous avions rêvé que des évaluations soient menées, non seulement des lacunes et erreurs, mais aussi des progrès réalisés. Nous avions espéré que différentes voix soient entendues. Hélas, les éloges dont ne se prive pas M. Darcos ne manifestent pas la volonté d'ouverture qui semble pourtant prévaloir dans ce gouvernement.
Il nous reste malgré tout un lot de consolation, nous ne serons pas tracassés sur les méthodes. Finies donc les luttes sanglantes de ces dernières années. La pédagogie n'est peut-être pas encore totalement honnie, réjouissons-nous !
Viviane Youx, présidente de l'AFEF