Association française pour l’enseignement du français

Lycée général

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    Avr

    La lente agonie de la filière "L"

    Anne-Marie Garat, Le Mondes des Livres, vendredi 20 avril 2007
    On entend sur les ondes les conclusions d'un rapport de l'Inspection Générale : la filière Littéraire du secondaire est en voie d'extinction. Les statistiques sont implacables : phase terminale. Depuis belle lurette, on est passé sous la barre des 10%. Qui ose afficher le chiffre exact d'aujourd'hui ? Même si, de manière dominante, la Littérature y a été instrumentalisée pour enseigner le discours, c'est la seule filière de notre système scolaire où se transmet encore une culture littéraire. Où la philosophie est vraiment présente. Où sont dispensés les seuls enseignements spécifiques d'art : musique, arts plastiques, cinéma, théâtre, danse et histoire des arts' Promis, eux aussi, à disparition, à court ou moyen terme ? Fatalité, ou politique délibérée que de laisser mourir de mort lente une filière de culture intellectuelle et artistique ?

    Cette décadence des L profite (?) aux filières dites d'excellence : scientifique et économique, avec programme light de lettres et philo, et les maths au lieu du latin pour critère de sélection (d'ailleurs ce n'est pas si brillant : le niveau scientifique secondaire est en déficit sérieux, les spécialistes le disent). L'Education nationale est malade de son modèle élitiste, dogme d'un autre siècle qui désigne pour seule voie aristocratique le secondaire, et les études supérieures. Versant au Technique sa poubelle de l'échec scolaire, grave anomalie. L'agonie des L est un dégât collatéral du système. S'orientent majoritairement en Lettres les élèves réputés indignes de la voie « royale ». Des réformateurs inspirés tiennent que, pour la « sauver », il faut y renforcer math et sciences. Allons, du courage : plus de Littérature du tout ! Ou alors en option, parmi les autres arts ? L'art est polémique, subjectif, aléatoire. Même académisé et postérisé, même entériné par le manuel, il reste dangereux ; c'est dans sa nature. L'école tient pour suspects le jugement hasardé, l'émoi, le transport, le rêve et l'imaginaire. Se méfie du génie, de l'enthousiasme, du trouble et du désir, du plaisir, de la fulgurance, du désespoir et des illuminations. C'est instruire à charge, mais à peine forcer le trait. Tant de « profs de Lettres », tout en préparant aux épreuves d'examen, s'escriment à maintenir une initiation du lecteur futur, à lui transmettre la plus haute expression langagière d'une société, le legs patrimonial de la Littérature, et ses formes contemporaines. L'école le doit, c'est sa mission républicaine : elle est le seul lieu du partage démocratique de ce qui irrigue nos pensées, bâtit les représentations d'avenir, instruit notre relation au monde. Mais le jeune prof de Lettres, fraîchement débarqué du CAPES ou de l'agrégation, de son doctorat, soudain seul face aux élèves, d'un vertige, mesure soudain l'abîme de sa position. Il quitte juste Louise Labbé, Apollinaire ou Claude Simon, Port Royal ou les Idéologues et il plonge dans les réalités violemment prosaïques, sinon triviales, de l'enseignement scolaire, des programmes et des exercices institutionnels. Il tombe de haut. Il a mal à sa vocation, à sa passion, il est très malheureux. Certains quittent le navire en catastrophe. Naufrage silencieux. Il était, tout à l'heure, étudiant d'un art, la Littérature. Il se retrouve prof de « français », ou de « lettres ». On ferait bien de méditer cette étiquette, qui dit clairement sa fonction, sa mission : enseigner le discours, « maîtriser » la langue.

    Certes, enseigner la rhétorique est une belle avancée, mais la consigne a infiltré, puis dominé les programmes, depuis près de vingt ans, reléguant la Littérature aux accessoires. Depuis qu'on a congédié l'histoire littéraire, et avec elle l'esthétique, et l'histoire des idées, l'objectif est d'étudier la langue outil. Décorticage du fragment, choisi par un manuel, ou photocopié... Dans le roman, on cherche activement les actants, les champs sémantiques, connecteurs logiques ou effets d'énonciation. En poésie, le thème et la thèse, l'anaphore et l'anacoluthe. Voire le zeugma. Ne parlons pas de la bonne vieille dissertation : moribonde, elle bouge encore, en trois parties. La Fontaine, Hugo ou Diderot, Rimbaud comme Racine, Queneau, Céline, ne sont plus convoqués que pour exercer à la fameuse « maîtrise », utile au succès social, bagage minimal. C'est que l'objet d'art donne quand même plus value à la technicité scolaire. Alibi, la Littérature ennoblit encore ceux qui s'en servent. Et la desservent.

    L'ouvrier scolaire finit par s'y résigner, les matins de blues. On comprend que, tant contesté, bousculé, tant déboussolé par les crises chroniques de son statut et de sa condition, la pression sociale et parentale, accablé par la culpabilité de l'échec scolaire qui pèse sur ses épaules d'éducateur à toutes mains, chapitré par son inspecteur, étourdi d'instructions variées du BO, le prof de « français » est rassuré d'arriver avec sa caisse à outils, clés et tourne vis validés par la science et l'institution. Et par les éditeurs de manuels, pas fous. Etat des lieux ? Quasi plus de littérature et civilisation en langues étrangères. Pas de traduction, réputée impure, ou alors en échantillon. L'Europe, l'Europe, on l'incante à tous coins de rues ! Comment construire une culture européenne, ouvrir aux circulations métissées du monde, en ignorant les littératures étrangères ? Autant que le journal télévisé du soir, et sa météo hexagonale, les programmes du secondaire, sauf exception, s'arrêtent à nos frontières, étanches aux nuages littéraires, aux pensées d'ailleurs. Y a-t-il des impasses en art littéraire que n'observent pas les autres arts, musique, cinéma ou arts plastiques ? C'est aussi vrai pour la culture grecque et latine : que n'enseignons-nous Homère Thucydide, Ovide en traduction, sans exiger de connaître la langue pour accéder aux 'uvres ? Comment laisser quitter l'école à des jeunes gens qui n'auront jamais entendu parler de Shakespeare, de Pascal, de Goethe, de Gogol, de Kafka, de Conrad ni de Cervantès ou de Melville. Ne parlons pas de Woolf, de Ritsos, de Hrabal ou de Walser, de Borges...

    Il est criminel qu'aucun ministre de l'Education nationale, aucun brillant conseiller de cabinet ne se soit avisé de requalifier la filière L. N'ait eu souci de rénover l'enseignement de la Littérature et de la Philosophie. De maintenir haut l'exigence en le repensant face au renouvellement générationnel, face à l'intégration nécessaire de jeunes gens issus de tous horizons. Certes, il y aurait fallu du courage, contre les résistances et les archaïsmes d'Inspection générale ou d'Administration centrale, sourds aux signes patents d'un épuisement des vieilles pédagogies, à la crise d'une école de masse, inapte à transformer ses missions. Il y aurait fallu une ambition politique.

    Affirmer que l'enfant est l'héritier légitime du patrimoine artistique et l'acteur vivant de sa propre culture, qu'il se nourrit autant aux 'uvres de l'art et de l'esprit qu'aux sciences réputées exactes et aux savoir-faire techniques. Que l'art ne délivre pas un savoir mais une connaissance. Qu'il engage l'émancipation et l'adhésion à soi, l'inscription profonde dans la communauté humaine ; qu'il confère identité, dignité et grandeur, raison d'être. A cette mission peuvent travailler tous les corps de la société, l'école en partenariat avec les institutions culturelles, les artistes, les élus et les collectivités territoriales. A leur manière, J. Lang et C. Tasca en prenaient le pari en 2000, dans leur plan de 5 ans pour la généralisation de l'accès aux arts. Qu'en reste-t-il, une fois laminé le projet, selon la logique des petits comptables ? Il y a pourtant des expériences d'excellence, comme les Classes Lecture et découverte du livre, des initiatives partenariales innovantes ; et l'investissement militant d'écrivains dans l'espace public et scolaire'

    Mais la Littérature est en danger. Le marché éditorial banalise sa valeur dans le vrac des consoles, en produit de consommation. Les aides aux écrivains sont peau de chagrin ; politique d'affichage, commémorations centenaristes et paillettes des manifestations opportunistes n'y changent rien. Si le marché du livre dit « de jeunesse » se porte bien, il cache la réalité sinistre de la Littérature. C'est que la Littérature ne rapporte pas, elle n'est pas « visible » ; elle n'est pas rentable. Pas rentable non plus à l'école utilitariste, qui signe sa désaffection, quand elle devrait être le premier sanctuaire de la valeur. Un lieu consacré, n'ayons pas peur des gros mots : un lieu où ce qu'il y a de sacré dans les valeurs de civilisation s'engendre et se partage. A commencer par cet héritage de la lecture, comme aventure des sens et de l'esprit, à contre temps de l'emploi utilitaire du temps social. S'il n'est pas dans la mission de l'école de former une génération d'écrivains, elle a pour mandat l'initiation des lecteurs de demain. Devenir lecteur, cela s'initie, cela se transmet par contagion, par passion, cela se mutualise et se propage, par conviction, générosité et gratuité, et le revenu est immense du capital intellectuel et artistique qu'investit une société. Parce que la Littérature n'est pas un supplément d'âme, un privilège d'élites, ni un divertissement de loisir, mais une nécessité primordiale, à commencer pour ses membres les plus démunis, les enfants à qui seule l'école, par sa mission républicaine, est en charge de transmettre le Bien commun de la création, de l'émotion et du sensible, des constructions de l'imaginaire. De la beauté. De la réflexion, de la méditation, et de l'élaboration de la pensée critique, dont les 'uvres patrimoniales et contemporaines de la Littérature sont dépositaires et facteurs, instruments par lesquels nous écrivons notre histoire, individuelle et collective.

    Est-il encore temps de crier au scandale devant l'impéritie qui voue à l'abandon cette filière Littéraire ? Est-il encore temps de la requalifier ? D'inventer un enseignement, qualifiant et diplômant, adapté aux attentes contemporaines ? Il y a des pistes fécondes à explorer pour sa refondation en filière de formation exigeante, généraliste, dans la transversalité disciplinaire des arts, des sciences et des techniques appliquées au Livre, associée à des professionnels et des artistes partenaires, dans ce qui serait un socle culturel d'Etudes Littéraires Secondaires, préparatoire à toutes sortes de qualifications ultérieures. Que requièrent les métiers du Livre, et de l'image ' l'image, urgentissime question -, de la traduction, de la presse, du multimédia, de la gestion des institutions culturelles, du réseau associatif et des médiateurs artistiques et culturels, des secteurs de l'entreprise, du commerce et des services, aussi bien de la science, et de la communication, en manque chronique de culture artistique et intellectuelle.

    En tout cas, la communauté des écrivains, si elle existe, les critiques littéraires, avec eux tout ce que notre société compte d'artistes, d'intellectuels, d'éducateurs et d'agents de la culture, de professionnels du Livre, éditeurs, libraires et bibliothécaires, et surtout les responsables politiques ' le seront-ils ? ', devraient dénoncer le danger majeur de la voir disparaître de notre enseignement. Car la Littérature n'est pas une « discipline » parmi les autres. L'art littéraire est irréductible aux autres. Il est par essence l'espace critique où la langue travaille, en pensée et en imaginaire, où fermentent les réalités et les utopies, sans lesquelles aucune société n'est viable. Face aux fanatismes, croyances irrationnelles et dérives idéologiques qui font le lit des horreurs de demain, la transmission de notre trésor intellectuel et artistique est une affaire de vie ou de mort.

    Anne-Marie Garat, écrivain
    Vice-Présidente de la Maison des écrivains
    amgarat@noos.fr

4 Commentaires

  • Laurent Auclair

    06 Mai 2007 à 15:19

    Je vois à l'agonie de la section L plusieurs motifs, et un - seul - remède:



    - le français est perçu comme une matière soutenue par des programmes conçus par d'anciens hypokhâgneux à destination de futurs hypokhâgneux. Problème : une infime minorité d'élèves se destinent à faire une hypokhâgne... La section L se conçoit alors comme une espèce de petit monde replié sur soi, peu porteur d'avenir.

    Suggestion (qui vaut d'ailleurs pour l'enseignement du français en général, ds ttes les sections) : informer les inspecteurs généraux de lettres que tous les élèves n'ont pas envie de faire les études qu'ils ont faites.



    - l'agonie de la section L est corollaire de la désaffection du public scolaire pour le français et la philosophie ; comme l'avait bien montré le sondage effectué par notre Education Nationale chérie auprès des élèves, du temps de feu Claude Allègre.

    Or ces deux matières n'ont à s'en prendre qu'à elles-mêmes. Le formalisme de l'une, l'académisme de l'autre, expliquent ce fiasco, mais surtout l'injustice et l'incohérence qui y règnent en maîtres, dans la notation notamment. Comment expliquer à un élève qui a eu 15 / 20 toute l'année en français à l'écrit, qu'il lui faudra se satisfaire d'un 07 / 20 le jour du Bac ?! (comme nous le voyons tous les ans avec nos élèves !) Et au nom de quoi ? de la gorieuse incertitude du sport ? Quand finira-t-on par admettre que nous ne savons pas évaluer nos élèves, que nous ne savons pas (suffisamment bien) configurer nos exercices, et que c'est là une ABERRATION pédagogique !

    Et comment expliquer à un élève de Terminale que, quelque soit son effort et son investissement, il devra s'estimer heureux de plafonner à 10 / 20 toute l'année en philo ? De qui se moque-t-on ?



    - une solution, une seule : fondre les sections ES et L en une seule section lettres / sciences humaines ; ainsi que l'ont déjà fait depuis longtemps les scientifiques en formant la S avec les ex C et D. Et comme chez les scientifiques on pourrait fonctionner avec des choix ponctuels d'options fortes en 1ère et term (sc eco, philo, lettres pures ...)

    Cela impliquerait aussi par exemple que tous les élèves fassent de l'économie en seconde. Mais il n'y a qu'en France qu'on puisse imaginer faire des études sérieuse, orientées vers l'enseignement supérieur et au-delà vers le monde moderne, sans avoir acquis la moindre notion d'économie. A cet égard relevons cette aberration suprême de notre système actuel : un élève de terminale L, qui passe l'essentiel de son temps à faire de la philosophie et qui donc étudie de façon plus approfondie que les autres la philosophie politique et la philosophie de l'histoire, peut le faire sans avoir jamais étudié l'économie ! On croit rêver ...



    L. Auclair

  • judy

    25 Juin 2007 à 12:22

    "des choix ponctuels d'options fortes", la philo en option voilà une bonne façon de la faire disparaître.

    Pour ce qui est des notes, il ne faut pas exagérer non plus, je pense qu'il s'agit de préjugés que de dire que la note de philo et de français va de paire avec le prof, c'est vrai qu'il y a une part d'incertitude mais c'est la matière qui le veut aussi et heureusement! Après je connais pas assez le système de notation des profs pour en parler mais il ne faut pas non plus caricaturer, au contraire en philo il y a beaucoup de logique qui contribue à une certaine stabilité des notes à mon avis... enfin on verra bien aux résultats!

  • Claire

    27 Jan 2008 à 12:51

    Cela peut paraître paradoxal mais il me semble que l'on sauverait la L en y réintroduisant quelques "enseignements scientifiques". En effet, ceux que l'on propose en première sont inexistants: on y révise les pourcentages et le cycle de l'eau à raison d'à peine trois heures par semaine (trois heures englobant les mathématiques, les sciences et vies de la terre et la physique chimie) Pour obtenir quinze au bac il suffit de savoir lire un tableau à double entrée.

    Alors que les élèves de filières scientifiques continuent de pratiquer des matières littéraires qui leur permettront 'intégrer des CPGE littéraires et des IEP, en L même l'option maths n'ouvre aucune porte sur des débouchés scientifique. D'où le choix systématique, pour des élèves doués en lettres mais indécis, de la filière S.

    Quant à la philosophie, j'estime que ce serait ridicule de la faire passer en option. L'enseignement que l'on trouve en TL est une de ses grandes forces. Cependant, il est certain qu'en à peine un an, on ne peut qu'effleurer cette matière si difficile, et que la perspective d'un examen avec un coefficient si fort ne peut qu'effrayer des élèves qui se font souvent une idée déformée de la philosophie.

    Aussi, choisir en seconde un bac dont on sait qu'il se jouera sur une matière encore totalement inconnue apparaît comme hasardeux... Plutôt que de supprimer ce qui est une chance et une exception française, pourquoi ne pas proposer une initiation à la philosophie dès la seconde, puis quelques heures en première? On pourrait même imaginer de diviser l'épreuve de philosophie entre la première et la terminale, à la façon de celles de Littérature.

    Peut-être ce système permettrait-il de "dédramatiser" une matière passionante mais qui rebute souvent des élèves ne l'ayant encore jamais abordé.

  • elevedeL

    05 Nov 2009 à 21:09

    Je suis un eleve de 1ere L et mon lycée verrat peut etre fermer sa filiere L donc je serais dans la mouise car il se peut que je ne puisse pas suivre une terminale L je trouve ça honteux !!! CROYEZ MOI ON VA M'ENTENDRE !!!

    ( Lycée François 1er Vitry le François 2eme lycée de FRANCE au niveau reussite au bac dont 100% du bac L !! )

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