Préambule : Enseignante en lycée professionnel, puis en lycée technologique, accompagnatrice de collègues pour la mise en place de différentes réformes au lycée professionnel, j’ai pu mesurer la bascule qui s’est produite entre la pédagogie par objectifs (vite délaissée pour cause de parcellarisation très taylorienne) et l’introduction des capacités et compétences qui ouvraient une perspective plus globalisante dans l’apprentissage. Cette expérience me disposait donc favorablement à l’arrivée d’un socle commun de compétences à l’école et au collège.
J’y ai cru, pourtant, à l’idée généreuse d’un socle commun qui définirait le minimum de connaissances et de compétences dont l’école s’engagerait à munir chaque écolier français ! Et dire qu’aujourd’hui, les controverses qu’elle suscite m’amènent à penser que le système actuel l’a livrée en pâture et vouée à l’échec pour prouver à ses défenseurs mêmes qu’elle était irréaliste. Populisme de bon aloi : on ne critique pas de front un projet inscrit dans la loi comme un idéal d’égalité, à défaut d’équité, mais on le saborde en le vidant de ses fondements théoriques et de la formation qui aurait dû l’accompagner. A ce titre le "LPC", livret personnel de compétences, encore plus que les grilles de compétences qui l’accompagnent, se révèle une caricature qui pourrait être intéressante à analyser si elle ne confinait à la tromperie.
Revenons sur ce terme central : les compétences, puisque c’est bien lui qui fait débat. Les connaissances, chacun s’en accommode, et elles donnent un argument supplémentaire aux détracteurs a priori qui les voient menacées par cette invasion de compétences. Mais, peut-on parler d’un enseignement par compétences sans déjà commettre un faux sens ?
Apparu d’abord dans les enseignements professionnels des lycées professionnels et technologiques, le mot – compétences – issu du vocabulaire de l’entreprise, a peu à peu gagné l’ensemble des disciplines d’enseignement général des LP, non sans susciter débats et questionnements : n’allait-il pas livrer l’ensemble des activités intellectuelles à l’idéal d’efficacité et de rentabilité ? Des références théoriques – Le Boterf, Perrenoud… – étaient évoquées, sollicitées et discutées. Et, sans cette distinction entre professionnel et général dont les habitués de lycées professionnels mesurent bien l’enjeu, l’ensemble de la pédagogie des LP se réformait et entamait l’ère de l’opérationnalisation qui faisait passer les élèves de la tâche – unique, répétitive – à l’activité – récurrente, formative, transférable. On déclinait savoirs, savoir-faire, savoir-être pour composer des référentiels de formation, organisation programmatique centrée sur l’activité des élèves. Mais c’étaient les savoir-faire, déjà, qui suscitaient le plus de débat. Les savoirs se référaient sans gros problème aux connaissances, les savoir-être déterminaient des attitudes dont il était entendu qu’elles ne constituaient pas directement un support d’évaluation mais plutôt un objectif vers lequel tendre. Les savoir-faire, quant à eux, se déclinaient en capacités et compétences, voire en aptitudes sur le modèle anglo-saxon des "abilities". Les capacités se définissaient dans un champ large, un verbe englobant (écrire, lire…) par conséquent non évaluable ; les compétences relevaient d’une démarche plus restrictive et opérationnelle : un verbe d’action, dans une situation donnée, avec un objectif précis. Et cette démarche gagnait l’organisation de tous nos apprentissages : des compétences globales permettaient de définir les séquences d’enseignement en français (jusqu’aux descriptifs d’activités présentés au baccalauréat technologique, identiques à ceux des baccalauréats généraux), des compétences plus spécifiques cadraient les séances de cours en intégrant les connaissances à faire acquérir.
Au regard de ces données, la version actuelle du LPC, sans paliers intermédiaires, me sidère dans sa terminologie. Sont nommés compétences des champs très larges, sans aucune contextualisation ni objectif précis. Certains items sont opérationnels, d’autres absolument pas. Comment, alors, construire une séquence d’apprentissage ? A quoi servent les compétences si elles ne sont que des têtes de chapitre, au mieux des actions, alors qu’elles sont censées situer un savoir-faire ? Sans conteste, l’aspect positif de l’organisation de l’apprentissage par compétences est qu’elle permet de se centrer sur l’élève, de situer chaque élève dans sa propre progression. Mais, pour ce faire, deux conditions sont indispensables : que les compétences soient opérationnelles, c’est-à-dire précisées et contextualisées, et que les savoir-faire à développer chez les élèves soient clairement adossés à des savoirs, c’est-à-dire que le socle soit articulé avec les programmes ; ce que permettent mal les derniers programmes de français, à l’école et au collège, tant les ponts entre "compétences et connaissances" du socle et prescriptions des programmes sont difficiles à établir. Les programmes précédents, tant en primaire qu’au collège, orientaient l’enseignant vers des postures procédurales, centrées sur la mise en activité des élèves. Les derniers programmes mettent en avant des postures expositives, de transmission, qui rendent difficile le lien avec le socle dont le fondement repose sur le développement de compétences par les élèves. L’enseignant, particulièrement lorsqu’il débute, a du mal à jongler avec deux postures qu’il sent antinomiques, l’une centrée sur l’apprentissage par l’élève de savoir-faire et de savoirs dans une attitude active, l’autre centrée sur la transmission par l’enseignant de connaissances dans une perspective applicationniste bien plus passive. Injonction paradoxale : peut-il, en faisant "la leçon de grammaire" inscrite dans les programmes, construire avec les élèves une démarche d’appropriation du système linguistique par l’analyse et le questionnement ? Il en arrive à penser que quelque chose ne colle pas, soit il privilégie l’approche par compétences et n’arrive pas à s’y retrouver dans le programme ; soit il s’en tient au programme et se dit que ce socle commun s’apparente à une usine à gaz, il va cocher des cases puisqu’il doit le faire, mais sans conviction, perdant l’objectif d’un accompagnement de la progression des élèves.
Le socle, alors, s’autodétruira et disparaitra de "mort naturelle" donnant raison à ses détracteurs qui avaient bien toujours dit qu’il ne servait à rien et était inapplicable ! Dévoiement populiste, les parents applaudiront sans avoir même eu le temps de percevoir que ce sont leurs enfants qui en font les frais.