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LE POINT AVEC...
Viviane Youx : « L’actuelle épreuve orale de français consiste à réciter des fiches »
Viviane Youx est présidente de l’Association française pour l’enseignement du français (AFEF)
Quelle est la place de l’association que vous présidez dans le « paysage » de l’enseignement du français ?
Notre association a 50 ans. Elle a été fondée en 1967, à la fois pour contribuer à la création d’une fédération internationale de professeurs de français et pour répondre, avec la contribution d’universitaires et d’intellectuels, à l’émergence de besoins éducatifs nouveaux à un moment où l’enseignement du français était aux avant-postes du changement de l’ensemble des enseignements. Le contexte actuel est très différent. Depuis une vingtaine d’années, des oppositions très fortes au sein de l’enseignement du français sont apparues. Nous ne sommes pas du tout sur les mêmes positions, par exemple, que l’Association des professeurs de lettres (APL), le collectif Sauver les lettres ou les associations des professeurs de langues anciennes. Le paysage associatif des enseignants de français est très morcelé, avec des structures ou des collectifs qui, comme nous, ont des fichiers de plusieurs centaines de sympathisants, mais comptent nettement moins d’adhérents à jour de cotisation. Notre raison sociale a évolué récemment puisque l’AFEF, qui était l’Association française des enseignants de français, est devenue l’an dernier l’Association française pour l’enseignement du français. C’est une façon de renouer avec l’idée, qui nous tient à cœur, que le français est enseigné de la maternelle à l’université, donc pas seulement par des professeurs de français. Si l’on devait résumer en une seule formule notre positionnement spécifique, ce serait : la réussite de tous élèves, prioritairement par le langage.
Dans quel état d’esprit abordez-vous la concertation qui s’ouvre avant le passage au conseil des ministres, prévu le 14 février, de de la réforme du bac ?
Nous ne sommes pas sollicités. Au moment où je vous réponds, il semble que cette concertation ne serait ouverte qu’aux syndicats, aux associations de parents d’élèves et aux représentants des élèves. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers certains syndicats pour faire valoir notre point de vue. D’une façon générale, nous sommes circonspects vis-à-vis du ministère actuel qui, sur tous les sujets et à un rythme accéléré, agite des chiffons rouges là où il faudrait prendre le temps d’une concertation approfondie. Nous voudrions croire à celle qui s’annonce, mais comment ne pas penser que l’essentiel est déjà décidé ? Déjà, nous avons eu du mal avec la consultation « Mathiot » : c’est seulement à notre initiative et sur notre insistance que nous avons été auditionnés in extremis, alors que d’autres associations avaient été dûment invitées.
Selon le rapport Mathiot, l’épreuve anticipée de français resterait inchangée. Qu’en pensez-vous ?
Ce qui ne sera pas modifié, c’est qu’il va bien rester, selon le rapport, une épreuve anticipée de français, avec un oral et un écrit. Pour le reste, rien n’est encore annoncé, sinon l’intention de « conduire une réflexion sur la nature des exercices demandés ». Nous craignons que, sous la pression d’autres associations, l’écriture d’invention soit écartée des épreuves écrites et que celles-ci soient resserrées sur le commentaire et la dissertation, ce qu’il y a de plus rigide actuellement. Ces épreuves apprennent aux élèves à gloser, mais pas à argumenter, ni à synthétiser, ni surtout à écrire. Nous proposons que les épreuves écrites soient revues autour de trois formes d’écriture : de synthèse, argumentative et littéraire. Quant à l’épreuve orale, aujourd’hui, elle consiste à réciter des fiches et non à faire preuve d’intelligence et de compréhension d’un texte. Nous pensons que le « grand oral » proposé par Pierre Mathiot, qui est une idée intéressante, devrait amener à reconsidérer l’oral des épreuves anticipées de français, de sorte qu’elles portent sur des savoirs et des savoir-faire, et non sur des fiches apprises par cœur. Nous ne méprisons pas le par-cœur, mais il nous semble plus approprié pour mémoriser des textes littéraires que des cours. Cette épreuve, qui serait un véritable oral et non une récitation terminale, devrait être préparée dans l’année sur un corpus d’œuvres exigeant, français mais aussi francophone et mondial.
Luc Cédelle, La Lettre de l'Education