Association française pour l’enseignement du français

Appels de l'AFEF

  • 13
    Nov

    Autour d'un communiqué de soutien, par Dominique Seghetchian

    La Lettre de l'AFEF n° 3 novembre 2010 - A la Une


    Le conseil d’administration de l’A.F.E.F. a décidé de soutenir officiellement 4 militants tourangeaux de la cause des « Sans papiers » (2 du Collectif Soif d’Utopie et 2 du Réseau Éducation Sans Frontières) qui doivent passer en procès le 3 décembre sur plainte en diffamation de la part du Ministre de l’Intérieur. Un tel geste de la part d’une association professionnelle est exceptionnel et mérite donc que nous apportions des explications à nos adhérents.

    Le communiqué :

    « En tant qu'association démocratique, l'A.F.E.F. ne peut accepter que des fichiers de l'Éducation Nationale soient utilisés à des fins non pédagogiques.

     En tant qu'enseignants de français, de la Maternelle à l'Université, nous savons l'importance pour les apprentissages des enfants, des adolescents et des jeunes, de conditions sereines d'études.

     En tant que professeurs de littérature nous ne pouvons ignorer la fonction de l'analogie dans la construction d'un raisonnement et d'une pensée.

     En tant que professeurs de langue, nous distinguons grammaticalement analogie et amalgame.

     En tant que professeurs de lettres, nous sommes attachés à une liberté de pensée qui nous interdit tout amalgame entre nécessaire travail de mémoire et opération de propagande. »

    Comment cette décision a-t-elle été prise ?

    J’enseigne dans la banlieue de Tours, dans un collège ZUP-ZEP-RRS. J’ai dans ce cadre eu à connaitre des situations d’élèves et de familles qui m’ont amenée à m’engager à titre personnel dans RESF. Pendant des années, mon engagement citoyen, mon engagement syndical et mon engagement disciplinaire ont coexisté sans interférence. Lorsque les collègues de RESF ont été mis en cause pour un communiqué de presse intitulé « Les baleiniers »[1], j’ai sollicité du CA l’autorisation d’assortir ma signature de la pétition de soutien[2] de la mention « membre du CA de l’A.F.E.F ». A l’issue de la discussion, il a été décidé que ce serait la présidente qui signerait au nom de l’association.

    Pourquoi ?

    Le communiqué cité ci-dessus restitue les grandes lignes de notre réflexion :

    1)      « En tant qu'association démocratique, l'A.F.E.F. ne peut accepter que des fichiers de l'Éducation Nationale soient utilisés à des fins non pédagogiques. »

    Le déclencheur de l’initiative prise par le Collectif Soif d’Utopies et le Réseau Éducation Sans Frontières a été la demande faite par la police, à une directrice d’école maternelle, en février 2010, de transmettre les noms et coordonnées des familles qu’elle venait, après avoir longuement hésité, de rentrer dans le fichier Base Élèves[3]. Un élève de cette école, d’origine tchétchène, et sa  famille avaient déjà fait l’objet d’une expulsion tandis que sa grand-mère agonisait dans la solitude à l’hôpital de la ville. La police exerçant par ailleurs des pressions sur une autre association dont les locaux avoisinent l’école, les militants ont craint le pire. Leurs craintes étaient confortées par le fait que, dans les semaines précédentes, des arrestations de familles dont les coordonnées ne figuraient que dans ce fichier avaient eu lieu ailleurs sur le territoire français.

    En tant qu’association, nous pensons que l’école doit s’enrichir du monde extérieur, elle est partie intégrante de la société, mais elle doit rester pour les élèves et leur famille un symbole de sécurité.

    2)      En tant qu'enseignants de français, de la Maternelle à l'Université, nous savons l'importance pour les apprentissages des enfants, des adolescents et des jeunes, de conditions sereines d'études.

    L’apprentissage, l’acquisition de connaissances et de compétences, est un processus qui demande l’investissement et la concentration des élèves, l’appui de leurs familles. Il y a déjà avec la crise assez de sources d’angoisse pour tous. Des enfants qui doivent ajouter à ces apprentissages communs ceux d’une langue et d’une culture étrangère ne peuvent le faire avec la peur au ventre. La pression vécue par ces enfants est tellement insupportable que, dans mon collège, deux d’entre eux, âgés de douze et treize ans, ont déjà fait une tentative de suicide.

    3)      En tant que professeurs de littérature nous ne pouvons ignorer la fonction de l'analogie dans la construction d'un raisonnement et d'une pensée.

     

    L’histoire, dit-on, ne se répète pas ; des situations peuvent être similaires, elles sont rarement pleinement identiques. C’est pourquoi la construction de compétences passe par la capacité à transférer les acquis d’une expérience dans une autre, pour autant nécessairement différente.

    .  

    4)      En tant que professeurs de langue, nous distinguons grammaticalement analogie et amalgame.

    Avertis par de précédents procès contre des citoyens révoltés par l’inhumanité de certains faits, les militants se sont bien gardés d’établir un lien direct entre l’actualité et ce qu’il est convenu de désigner par une périphrase : « une sinistre période de notre histoire ». Ils savaient que le seul fait de nommer la sous-préfecture de l’Allier pour évoquer une autre actualité que les cures thermales et le commerce des pastilles agissait comme un chiffon rouge pour le Ministère de l’immigration. Ils n’ont donc jamais rapproché le gouvernement actuel de celui des années 40. Ils ont comparé non pas chacun d’eux mais les méthodes qu’ils utilisent pour parvenir à leurs fins (et dont l’aboutissement n’est pas le même) à une technique utilisée dans une activité qui a fait la richesse du port du Havre jusqu’au 19ème siècle : la chasse à la baleine. Il y a bien un comparant : les baleiniers, il y a deux comparés. Soutenir que cela revient à identifier l’un à l’autre les gouvernements des deux périodes est aussi absurde que de prétendre que les « 4 de Tours » imputent aux baleiniers une responsabilité dans la Shoah ! L’accusation nous a donc semblé infondée. Il nous est apparu qu’elle visait à imposer une pensée unique en caricaturant une pensée élaborée et divergente.

    5)      En tant que professeurs de lettres, nous sommes attachés à une liberté de pensée qui nous interdit tout amalgame entre nécessaire travail de mémoire et opération de propagande. »

    Le « travail de mémoire » est nécessaire parce que nous sommes unis par la culture qui se construit ainsi. En ce sens le « travail » sur et de la mémoire consiste à opérer un tri pour retenir des évènements, des figures, des œuvres symboliques c’est-à-dire porteurs ou chargés de valeurs positives. Le « travail de mémoire » est aussi nécessaire par tout ce qu’il nous enseigne pour nous guider, aussi bien sur ce que nous recherchons que sur ce que nous devons fuir ou combattre. Il nous enseigne qu’il est des processus dangereux et d’autres qui grandissent. L’enseignement des lettres est ainsi socialement nécessaire parce qu’il représente un apprentissage humaniste.

    C’est précisément au nom de cette dimension humaniste de la culture littéraire que nous décidé de soutenir, en tant qu’association, ces militants de Soif d’Utopie et du Réseau éducation sans frontières.

                                     

     

    [3] Le Conseil d’Etat a d’ailleurs partiellement annulé le fichier Base Élèves dans un décret daté du 19 juillet 2010 : http://www.conseil-etat.fr/cde/node.php?articleid=2100  : voir aussi le site du comité national de résistance à Base Elèves : http://retraitbaseeleves.wordpress.com/

     


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