L’écriture a fait l’objet d’un très grand nombre de travaux relevant de champs différents, allant de la psychologie cognitive au traitement automatique du langage naturel en passant par la linguistique textuelle et la didactique. La revue Pratiques y a consacré de nombreux dossiers qui l’envisageaient tantôt d’un point de vue global, comme dans un numéro de 1980 intitulé « Écrire en classe » ou dans « L’écriture et son apprentissage » en 2002, tantôt sous l’angle des spécificités génériques des textes à produire, comme dans « Écrire des récits » en 1994 ou dans «L’écriture d’invention» en 2005, ou encore à travers l’une de ses composantes comme dans « Lexique et écriture » en 2012.
Nous proposons de consacrer un nouveau dossier à l’écriture en l’envisageant spécifiquement sous l’angle de la production de texte, considérée comme une activité langagière complexe au cours de laquelle le scripteur emploie et ajuste entre eux des matériaux linguistiques disponibles, issus de productions antérieures ou de souvenirs de productions antérieures, réalisées ou non par lui-même. Cette définition a minima, qui n’a pas la prétention de rendre compte de toutes les dimensions de la production de texte, signale uniquement trois de ses aspects ainsi que les liens qui les unissent : i) la notion d’activité qui implique que l’on s’intéresse au sujet scripteur et à ses actes ou micro-actes, qui peuvent être envisagés notamment en termes d’intentions, d’opérations, de décisions, de procédures, ii) les mécanismes qui permettent aux éléments assemblés par le scripteur de « faire texte », iii) l’existence d’un substrat à partir duquel s’opère la production textuelle.
Ce dernier point, concernant le substrat préexistant à la textualisation – le déjà-là – et son traitement par le scripteur servira de pivot à la réflexion déployée dans les articles qui seront accueillis dans ce numéro de Pratiques car cette thématique appelle à discussion et a besoin d’être éclairée par des travaux théoriques ou empiriques.
Ainsi, le numéro pourra être articulé autour de trois axes :
1- La nature des matériaux à disposition du scripteur. Une discussion théorique peut s’ouvrir concernant l’hypothèse, proche des approches pragmatiques et discursives, selon laquelle le scripteur recourt non pas à la langue proprement dite mais à un système qu’il s’est construit à partir de son expérience langagière singulière. La taille, l’empan des matériaux linguistiques participent également de la discussion qui peut convoquer une réflexion portant sur la phraséologie et sur les collocations et sur leurs effets sur l’écriture.
2- La manière dont ces matériaux linguistiques se trouvent à disposition du scripteur
soit en considérant cette question du point de vue psycholinguistique et en la traitant donc sous l’angle des phénomènes ou processus mnésiques mis en œuvre, soit en s’intéressant aux dispositifs didactiques qui favorisent cette mise à disposition, soit encore en examinant à la lumière d’approches génétiques comment celle-ci peut procéder d’un choix assumé par le scripteur qui accumule sciemment les matériaux dont il aura besoin ou au contraire relever d’une intertextualité qui peut être plus ou moins consciente.
3- La manière dont le scripteur emploie et réinvestit ces matériaux. Cela conduit à étudier les fonctionnements et les mécanismes de la reformulation, à voir comment ils s’intègrent dans le processus de linéarisation de l’énoncé. La question de l’emploi ou du réemploi du
déjà-là conduit également à s’interroger sur les notions d’originalité, de création, de plagiat qui ont des contours assez fluctuants et qu’il peut être intéressant de reproblématiser. À cette occasion on pourra examiner le cas particulier que représente le réemploi par un scripteur de matériaux issus de ses propres productions, sous des formes très diverses allant de l’autocitation aux topoï en passant par l’autoreformulation.
Repères bibliographiques
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CALENDRIER :
Les propositions (1 à 2 pages) sont à envoyer pour le 30 décembre 2014.
Après acceptation du projet, les articles sont à envoyer pour le 30 juin 2015. Ils seront soumis à une double expertise.
Contacts (coordination du numéro) :
Sylvie Plane, Université de Paris -Sorbonne : sylvie.plane@wanadoo.fr
Fabienne Rondelli, Univesité de Lorraine : rondelli.fabienne@gmail.com