Association française pour l’enseignement du français

Primaire

  • 27
    Mai

    A quoi sert l’école maternelle ? Compte-rendu de Joëlle Thebault

    Journée d’étude, mercredi 15 mai 2013, Université Paris-Sorbonne – IUFM de Paris

     

     

    A quoi sert l’école maternelle ?

    Journée d’étude, mercredi 15 mai 2013, Université Paris-Sorbonne – IUFM de Paris

    Lire le compte-rendu en format doc

    Sylvie Plane (professeure de sciences du langage, Université Paris-Sorbonne)[1] se réjouit de l’assistance nombreuse et rapporte ce succès à  la formulation volontairement provocatrice de l’intitulé de la journée.
    Elle présente les apports qui vont suivre en soulignant que l’école maternelle est actuellement au centre des regards et des débats. Il s’agira de s’interroger sur la validité du modèle français, conçu comme une préparation à la scolarité élémentaire.

    L’école maternelle a été de nouveau attaquée récemment (ceux qui enseignent, ce qu’on enseigne… et le cout que cela représente). On peut penser que le développement des jardins d’accueil aurait mis fin à l’école maternelle. Au contraire, la loi sur la refondation se propose de redéfinir les missions de l’école maternelle et de développer la scolarisation des moins de 3 ans. Reste à savoir si la scolarisation précoce a des effets positifs sur la trajectoire personnelle des enfants concernés, question  récurrente depuis des années. En particulier, permet-elle de corriger les inégalités ?

    D’autres interrogations portent sur les notions de « normalité, précocité, prédictibilité » (la précocité est-elle une valeur ?), le lien entre développement cognitif et le contexte social, ou les pratiques d’évaluation : on a tendance à confondre évaluation de régulation etévaluation prédictive. On déplace les normes de référence (comme « le petit arpent du bon Dieu »), on n’interroge pas assez le modèle culturel ethno centré qui les sous-tend.

    Dans le domaine du langage, on constate aussi des catégorisations risquées, à partir de la quantité de parole, de la surface linguistique (présence de phrases complexes) ou en estimant le nombre de mots que possèderait un enfant à un âge donné. Les apprentissages fondamentaux portent sur le fonctionnement du langage (mécanismes opératoires, conduites discursives, focalisation de l’attention conjointe etc.) et ne peuvent être évalués quantitativement.

    La conclusion souligne le risque persistant d’une école maternelle scolaro-centrée sous la pression de l’évaluation, et par suite de la tension entre modèles didactiques (effet en retour du collège sur l’école, etc.). La formation à enseigner à l’école maternelle est sans doute la plus difficile, puisqu’elle interdit le retour aux références acquises en tant qu’élève et qu’elle est plus que d’autres sensible aux pièges de la routine. Cette haute technicité donne à penser qu’il faudrait consacrer au moins une semaine à l’école maternelle dans la future formation des enseignants.

    Pascale Garnier (professeure de sciences de l’éducation, Université Paris 13) revient sur quarante ans d’enquêtes statistiques sur l’école maternelle et les inégalités sociales. Elle montre que le principe de scolarisation était présent dès les salles d’asile. Si la conception du procès de scolarisation à l’école maternelle a changé (hiérarchisation des savoirs héritée du 2nd degré, passage de l’objectif de  communication à celui de maitrise de la langue, passage du modèle piagétien à celui de Vigotsky, qui justifie une intervention plus marquée de l’enseignant, etc.), le souci d’en évaluer les effets s’est maintenu constamment, avec des perspectives qui évoluent.

    On s’efforce d’abord (dès l’après guerre) d’évaluer des effets globaux, en particulier en mettant en rapport le nombre d’années de scolarisation en maternelle et l’avance en CP. Puis apparait (à la fin des années 70) le souci d’évaluer des effets différenciés : rôle compensatoire de l’école maternelle, conçue comme un outil de prévention. Les milieux défavorisés deviennent une cible privilégiée. Les mesures utilisées se complexifient. On en vient, dans les années 90, à une évaluation des effets spécifiques. Dans le même temps, la question se pose au niveau international (UE, OCDE, UNICEF).

    En conclusion, on constate la focalisation sur les effets scolaires au détriment du compromis avec d’autres justifications (par exemple le bien être de l’enfant) et le poids croissant d’une rationalisation didactique et évaluative sur les professionnels et les parents. La question de savoir s’il convient de mettre en place une formation spécifique pour les futurs enseignants de l’école maternelle est un enjeu d’actualité.

    Claire Martinot (professeure de sciences du langage, Université Paris-Sorbonne)[2] donne d’emblée sa réponse à la question : pour elle, l’école maternelle sert à enseigner comment la langue construit le sens.

     Il s’agit de la langue telle que l’enfant la pratique, grâce à laquelle il doit pouvoir apprendre à penser. Pour cela, il est nécessaire de sensibiliser les élèves à la différence de sens d’un énoncé à l’autre. Elle insiste sur le fait que la syntaxe élémentaire de la langue est acquise spontanément par la plupart des enfants, de façon implicite. Il reste cependant que bien des énoncés sémantiquement équivalents ne sont pas substituables dans le discours. C’est sur ces nuances qu’il faut attirer l’attention des élèves, afin qu’ils disposent d’un choix entre plusieurs formulations (dans le cadre de l’écriture tout particulièrement).  

    Elle cite plusieurs passages des programmes de 2008 en soulignant leur manque d’ambition. Elle critique par exemple le fait que l‘ordre des mots soit présenté comme un objectif, ou que l’on évoque la compréhension sans donner aux enseignants de piste à ce sujet, à part la répétition d’histoires, qui ne saurait suffire.  Elle montre comment, dans l’énoncé d’une consigne, les reformulations successives par l’enseignant (reformulation d’abord simplifiée et redondante, puis plus complète) constituent un étayage efficace. Elle insiste par ailleurs sur l’idée que l’on ne s’approprie pas une langue par son lexique[3] : il ne suffit pas de faire nommer les choses pour que ce vocabulaire soit mémorisé. Les activités de classification sont sans rapport avec le fonctionnement de la langue : classer pitbull, caniche etc. sous la rubrique chien est une classification zoologique, pas linguistique. L’enjeu linguistique consiste plutôt à travailler sur les mots très courants, polysémiques, faire prendre conscience à l’élève que le verbe mettre,  par exemple, porte des sens très divers selon le contexte d’emploi (on met son pantalon, la table, la télé, un mouchoir à la poubelle, etc.).

    Les listes de mots sont donc sans utilité. Il convient au contraire de systématiser certaines activités langagières. On peut s’arrêter sur les voix, sur le corps et la langue, expliquer des phénomènes physiques ou des jeux à d’autres, s’emparer d’un album sans texte raconté à la classe par l’enseignant pour le raconter à son tour, fabriquer un dictionnaire individuel ou collectif etc.

    Monique Saint-Georges (maitre de conférences de physique honoraire, IUFM du Limousin)[4] montre comment faire découvrir le monde à l’école maternelle en s’appuyant sur les contenus des programmes.

    Peut-on dire qu’on fait des sciences à l’école maternelle ? Pourquoi pas, puisque l’élève peut concevoir, catégoriser, raisonner…  Il ne s’agit pas de reproduire à l’école maternelle la démarche d’investigation mais d’établir avec les élèves un référent empirique commun, de repérer variances et invariants, de proposer des hypothèses explicatives que l’on valide ou non par l’expérience, et de communiquer aux autres ce qu’on a compris.

    Comment s’y prendre ? La collection « doubles pages pour l’école maternelle[5] » est une aide précieuse pour les enseignants, comme le montre la suite de l’exposé. Les exemples développés sont en effet tirés directement de ces fascicules :

    ·       Découverte des matériaux [6] en moyenne et grande sections (MGS): l’eau, le bois, le « fer » et d’autres matériaux…

    ·       Ombres en MGS : on joue avec son ombre, celle des autres, celle des objets, en particulier des marionnettes. On cherche ainsi comment faire « une ombre de géant »

    ·       Miroirs et périscopes en GS : à partir d’un « livre-miroir » (deux miroirs articulés), on découvre par exemple que « plus on ouvre, plus ça fait moins d’images ». Avec le périscope, « qu’est-ce qui vous permet de voir, alors qu’il y a le tableau » qui fait obstacle ? on regarde, on propose des explications, on vérifie…

    ·       Histoires de vies en GS : l’élevage de vers de farine, les ténébrions, est particulièrement intéressant car en quelques mois, plusieurs mues se produisent. En répartissant toute une population dans des lieux différents (frigo, radiateur, température ambiante), l’enseignant obtient des individus à des stades différents qu’il mélange. C’est le début de découvertes confondantes !

    Jacques David (maitre de conférences en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise)[7] traite la question de savoir quelles pratiques de litéracie (versant écriture) ont leur place à l’école maternelle.

    Il fait état de ses recherches sur l’acquisition des processus d’écriture, en particulier l’émergence des écritures enfantines. Il renvoie aux travaux de sociolinguistique et psycholinguistique et signale le nombre croissant d’études qui font suite au livre d’Emilia Ferreiro, L’écriture avant la lettre[8], synthèse de ses  publications antérieures.  Ces travaux font date, même si on en critique le modèle piagétien, par étapes, et si on peut lui reprocher de négliger le phénomène morphologique, qui apparait très tôt.

     Il souligne la validité des pratiques d’écriture émergente et plus encore de l’autographie : quoique très critiquée, la démarche des « écritures approchées » est en cours de validation.

    On peut définir cinq  pratiques d’écriture. Les trois premières sont plutôt « techniques » :

    ·       L’écriture comme calligraphie ou « graphisme ». Il s’agit d’apprendre :

    o   les gestes,

    o   la formation des unités de l’écrit (les lettres),

    o   l’association des lettres (ligatures) et la formation des mots (continuité du tracé)

    Ces acquisitions ont des implications pour la production d’écrits (disponibilité ou non pour d’autres tâches, par exemple l’orthographe)

    ·       La copie visant la reconnaissance des graphies (mots) et l’efficacité de l’écriture (textes)

    o   Permanence des signifiants écrits

    o   Automatisation des gestes d’écriture (mémoire de travail et empan)

    o   Reconnaissance des mots (lien avec la lecture)

    o   Mémorisation des configurations orthographiques

    ·       Le transport-copie et la recomposition de mots pour composer des textes courts : on fait souvent composer des écrits à partir de répertoires de mots, ce qui s’avère une impasse.

     

    Deux pratiques visent la production textuelle :

    ·       La dictée à l’enseignant, qui permet à l’élève :

    o   de composer un texte long en déléguant à l’enseignant les problèmes de mise en mots

    o   de porter son attention sur la construction du texte, sa progression, sa cohérence, les phénomènes de cohésion, etc.

    ·       L’autographie, terme qui désigne les écritures autonomes par opposition aux écritures contrôlées (la dictée, par exemple) et vise l’apprentissage de la production d’écrits.

    o   Associe mise en texte et mise en mots, mais en distinguant nécessairement ces deux plans (la simultanéité est impossible, même pour l’expert)

    o   Passe par la mise en place d’ateliers d’écriture et de séances de révision, « réécriture coopérative »

    o    Permet d’aller de l’encodage phonographique à la morphologie verbale (le français étant la langue qui cumule le plus grand nombre de difficultés, si on la compare par exemple avec l’espagnol) et à la distribution des contenus

    o   Conduit à la résolution sélective de problèmes de toutes sortes.

    Le passage de l’écriture inventée à l’écriture normée se fait par la découverte (cruelle) par l’élève qu’il ne lui est pas possible de « relire » à l’adulte ce qui a été « écrit ». Prendre conscience que ce qui s’écrit se lit débouche sur l’abandon de l’écriture inventée au profit de la recherche de mots.

    Il existe différentes conceptions de l’autographie :

    ·       Ecritures « inventées » : depuis les années 70, description des écrits spontanés de jeunes enfants, scolarisés ou non.

    ·       Ecritures « essayées » ou « tâtonnées »

    o   Tradition anglaise de bienveillance envers les essais (« good try ! »)par opposition à notre tradition des « erreurs »

    o   Notion qu’on retrouve dans les programmes 2002 et le document Langage à l’école maternelle.

    ·       Ecritures (ou orthographes) « approchées » :

    o   Pratique la plus aboutie, avec effet en retour de la norme écrite sur les essais d’écriture : grâce aux commentaires métagraphiques, les élèves prennent conscience de l’écart entre leur production et l’écriture normée

    o   Pratique diffusée dans tout l’espace francophone

    o   Pratique qui s’articule avec d’autres compétences : conscience phonologique, épellation etc.

    Jacques David évoque les travaux menés avec Sandrine Fraquet dans le cadre d’une thèse en préparation : il s’agit pour l’élève de s’approprier les fonctions, les propriétés et les pouvoirs de l’écriture. Il décrit la méthodologie et le dispositif didactique de ce travail sur les écritures approchées, qui porte aussi bien sur des écrits produits dans le cadre scolaire (en autonomie ou en petits groupes, avec étayage de l’enseignant) que sur des écrits spontanés, parfois même produits en dehors de l’école. 

    Il en montre plusieurs exemples qui mettent en évidence les fonctions de l’écriture déjà exercées : affirmation de soi, pouvoir sur le monde, pouvoir sur les autres, invention d’histoires, prise en compte du lecteur…  On les retrouvera dans la revue Repères n°47, Premières pratiques d’écriture, à paraitre.

    Ces travaux ont déjà mis en évidence le fait que ces jeunes élèves, dont 60% ne parlent pas français dans le cadre familial, approchent dans ce cadre des phénomènes discursifs et textuels spécifiques, et appréhendent l’organisation linguistique de l’écrit. On constate les effets à court terme : les élèves les plus démunis sont ceux quoi progressent le plus. D’autres études devront confirmer les effets à long terme.

    Michel Grandaty (professeur de sciences du langage, Université Toulouse – Le Mirail)[9] répond à la question en affirmant que la seule raison pour laquelle on met en cause l’école maternelle est son cout. L’école maternelle sert, de manière spécifique, àdéléguer des outils sémiotiques, grâce au cadre et au contexte scolaires, et en proposant un travail par et sur le langage. En s’appuyant sur divers textes de chercheurs (Goffman, Goody, Vigotsky), il souligne le rapport particulier entre langage et pensée qui s’élabore ainsi, particulièrement grâce aux écrits et aux oraux de travail.

    Il déplore l’instrumentalisation croissante des 3D : déficit, dépistage et difficultés…

    Viviane Bouysse (IGEN Ministère de l’Education Nationale)[10] devait traiter la question de la place et des spécificités de l’école maternelle dans le système français, et se demander : faut-il des maitres spécialisés pour l’école maternelle ?

    Mais il ne lui a pas été possible de se joindre à cette journée. Le temps rendu ainsi disponible  a permis quelques échanges.

    Une étudiante, attirée par l’exercice à l’école maternelle, s’inquiète du manque de formation concernant ce domaine et exprime le sentiment que ce n’est pas le même métier. Ce propos est discuté : pour certains, profondément, le métier est le même, et les enseignants de classes élémentaires (ou au-delà) gagneraient à comprendre ce qui se fait avec des petits, pour sortir de l’illusion qu’ils entretiennent sur leurs élèves. Mais il est aussi étayé par divers propos : l’école maternelle accueille l’enfant, il ne deviendra un élève que plus tard.

    Sylvie Plane regrette qu’on ait injecté dans la formation des enseignants un découpage des disciplines emprunté au secondaire. Il faudrait selon elle que la formation comporte impérativement un passage en RAR[11] et un passage en maternelle. Mais l’élémentaire perdrait beaucoup si les « deux métiers » étaient séparés.

    Michel Grandaty ajoute que la forme scolaire ne peut pas s’imposer, mais en même temps elle apprend un cadre : par exemple accepter et dépasser la frustration qui nait du fait de ne pas profiter immédiatement de ce que l’on désire, ce qui manque à certains adultes !

    Une participante s’interroge sur les lectures professionnelles des professeurs, qui ont selon elle la responsabilité de poursuivre leur formation. A ce sujet sont évoquées les publications du CNDP et les revues (Cahiers pédagogiques, Français aujourd’hui, Repères), qui permettent une interface entre les enseignants et la recherche.

    A ce sujet, Jacques David alerte l’assistance d’une part sur l’évolution consumériste du lectorat, d’autre part sur les problèmes économiques que rencontrent actuellement les revues « papier »  face à la concurrence du numérique. La numérisation des revues, gratuites à partir de 3 ans après leur publication, permet en même temps la démultiplication des lecteurs (ouverture à la francophonie).

    Pour Michel Grandaty, les enseignants doivent de plus en plus devenir des praticiens-chercheurs, car à l’université, les chercheurs sont de plus en plus incités à la didactique descriptive.  

    On signale aussi d’une part le site de l’AFEF, d’autre part la veille et l’analyse produites par l’institut français de l’éducation[12] (anciennement INRP) qui permet d’accéder aux revues disponibles.

    Enfin des participantes évoquent les difficultés rencontrées par leur association pour l’archivage de la documentation considérable qu’elle a réunie et signalent la parution du livre de Jean-Charles Pettier et Paulette Clad, Un avenir possible pour l’école maternelle : la pédagogie de germaine Tortel[13]



    [3] Voir à ce sujet le dossier en cours de construction sur le site de l’association  

    [6] Cf notre CR du fascicule Des objets aux matériaux, Claudette Minaret & Monique Saint-Georges, Sceren 2012.

    [11] Réseau Ambition Réussite

    [13] Voir le site de l’association www.pedagogie-tortel.org

Aucun Commentaire

Commenter cet article

  • Nom *
  • Email
  • Site Web
  • Message *
  • Recopiez le code de sécurité *
  • ???
  •